Le sens des mots

« Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende. » (Mat 11,15)

On admet, généralement, que la conscience humaine opère suivant trois modalités : sensorielle, rationnelle et intuitive(1). Chacune a ses particularités, faciles à reconnaître. Elles se fondent pourtant dans un acte unique de conscience, tout comme plusieurs images peuvent être mélangées sur un même écran. Les mots de notre langage sont-ils dépendants de ces modalités de conscience et cela peut-il interférer avec la recherche spirituelle ?

 A quoi sert le langage, sinon à communiquer, donc informer ou être informé… c’est-à-dire à donner forme. Le langage est un aspect des échanges vitaux que toute personne assure avec son environnement, mais aussi, plus subtilement, avec elle-même. Pour qu’une sensation puisse être « reconnue », elle doit se rattacher à quelque chose de « connu », image, son, situation, etc. La première vocation du langage est de nommer, c’est-à-dire d’associer à un objet, un lieu, une situation, une personne et avec le moins d’ambiguïté possible, un graphisme et la phonétique correspondante : un mot. Ainsi toute personne en relation avec le mot (locuteur, auditeur, rédacteur, lecteur) sera susceptible de former la même image ou idée.

Le lien avec la conscience sensorielle

Les mots associés aux objets, aux lieux, aux personnes, soit le plus grand nombre, sont des étiquettes, à l’image de celles collées sur les pots de confiture pour distinguer la fraise de l’abricot… Ces mots-étiquettes, conventionnels, donc réclamant un apprentissage et indispensables à toute vie sociale, sont liés à nos facultés de conscience sensorielle, car cette modalité de conscience donne forme matérielle aux objets. On l’appelle aussi, d’ailleurs, conscience objective. On peut rattacher à cette même modalité le factuel, c’est-à-dire tout ce qui donne à une situation son aspect historique, authentique (qu’on pourrait filmer, par exemple).

Le lien avec la conscience rationnelle

Il y a aussi dans le langage un nombre considérable de mots qui représentent un concept, une abstraction. « Maison » ne désigne pas un objet spécifique, mais plutôt une classe d’objets possédant des caractéristiques communes (attributs) que notre intellect est en mesure d’identifier. C’est notre conscience rationnelle qui opère dans ce cas, car elle est capable de comparer, de différencier, de classer et d’inventer un mot ou une expression pour y rattacher les attributs significatifs. Un tel mot (par exemple : maison) est un concept. La conscience rationnelle à laquelle il s’adresse est spécifique de l’humain.

Dans l’usage quotidien, mots-étiquettes et mots-concepts se mélangent en totale symbiose et sauf circonstances particulières on ne cherche pas à les distinguer. Cependant il faut être vigilant : le mot « atome », par exemple, désigne-t-il un objet (mot-étiquette) ou un repère scientifique (mot-concept)(2) ?

Le lien avec la conscience intuitive

L’intuition, si méconnue et si souvent confondue avec l’imagination, la mémoire ou la capacité d’observation, est pourtant, de très loin, la faculté humaine la plus puissante. A elle, se rattachent l’inspiration du compositeur ou du poète, le génie artistique du peintre et parmi d’autres puissantes manifestations de l’infini et de l’intemporel dans nos consciences humaines, les lumières de la foi pour le chrétien. On fait référence, parfois, à la conscience intuitive, non sans raison, comme intelligence du cœur.

L’intuition se nourrit de symboles. Mais qu’est-ce qu’un mot-symbole ? Loin de l’idée, largement répandue, que le symbole est une simplification mnémotechnique (O pour oxygène en chimie, par exemple), peut devenir symbole tout mot (éventuellement image, son, situation) capable d’éveiller certains processus subconscients et d’amener à la pleine conscience un résultat qui fasse sens. Le symbole « évoque », c’est-à-dire ouvre la conscience intuitive à une réalité souvent inexprimable en mots. Le symbole est donc un langage au-delà du langage habituel et ce qui est évoqué par le symbole est très dépendant du vécu et des attentes de la personne qui en use.

La religion utilise intensément les mots-symboles, justement parce qu’ils sont capables d’ouvrir la conscience aux plus hautes et plus complexes réalités de l’existence. Encore faut-il utiliser les mots de la religion dans leur dimension symbolique et non les prendre comme des mots-concepts ou des mots-étiquettes.

  1. Pour les lecteurs désirant approfondir ce sujet, deux ouvrages réalisés par des scientifiques : Les trois niveaux de la conscience par Jean-François Houssais et La conscience intuitive extraneuronale par le Dr. Jean-Jacques Charbonier, publiés chez Guy Trédaniel.
  2. L’atome, même s’il a une limite spatiale, n’a pas de forme ; ce n’est pas vraiment un objet.