L’abbé Pierre, un homme de cœur, un homme de conviction

C’était il y a déjà soixante ans, le 1er février 1954, l’abbé Pierre lançait un cri d’alarme sur les ondes de Radio Luxembourg (aujourd’hui RTL) : « Mes amis au secours…une femme vient de mourir gelée, cette nuit à trois heures sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant hier, on l’avait expulsée… ». Cet appel, repris sur toutes les ondes, aura des répercussions, bien au-delà de ce que son auteur aurait pu imaginer ! Il réveillera les consciences face au total dénuement d’une partie de la population et enclenchera de multiples actions, aujourd’hui encore, sans pourtant résoudre ce grave problème des sans-abri.

Mais qui était-il cet éveilleur des consciences ?

Nous le connaissons sous le nom d’« Abbé Pierre », qu’il a pris dans la clandestinité des maquis durant la dernière guerre. Il s’appelle en réalité Henri Grouès, né à Lyon, cinquième d’une famille bourgeoise de huit enfants. Il a douze ans lorsqu’il accompagne son père dans ses activités au sein de la « Confrérie des Hospitaliers veilleurs » qui se font coiffeurs et barbiers pour les pauvres. Ce premier contact le marque profondément comme le scoutisme. Dès l’âge de seize ans, il souhaite entrer chez les franciscains mais devra attendre d’avoir dix-sept ans et demi. C’est chez les Capucins, une des branches de la famille franciscaine qu’il prononce ses vœux, sous le nom de frère Philippe, renonçant à son héritage et donnant tout ce qu’il possède. Il y vivra sept années d’une grande austérité.

Ordonné prêtre en 1938, il est nommé vicaire à Saint Joseph de Grenoble mais la guerre le rejoint et il est mobilisé comme sous officier. On le retrouve en 1942, vicaire à Notre Dame de Grenoble où il œuvre dans l’ombre recueillant des enfants juifs, participant à la création de maquis dans le Vercors et le massif de Chartreuse, facilitant le passage en Suisse de clandestins comme Jacques le plus jeune frère du général de Gaulle, en 1943. C’est à cette période qu’il rencontre Lucie Coutiez qui le cache ; elle restera sa secrétaire et cofondatrice tout au long de sa vie.

Il prend bien des risques, est arrêté puis relâché et rejoint alors le Général de Gaulle à Alger, en passant par l’Espagne. Il sera aumônier de la marine sur le cuirassier Jean Bart ce qui lui vaudra la croix de guerre avec palmes à la Libération. Il s’engage ensuite en politique et sera, avec l’accord de son évêque, député de Meurthe et Moselle ; il siègera lors des deux assemblées constituantes de 1945 et 1948. En 1951, il met fin à sa carrière de député se désolidarisant du MRP, son parti politique, à la suite des évènements sanglants de Brest où un des dockers, de ceux qui refusaient le chargement d’armes pour l’Indochine, avait trouvé la mort.

Emmaüs, toujours d’actualité.

C’est en 1949 que l’abbé Pierre fonde « Emmaüs », une organisation laïque de lutte contre l’exclusion, aujourd’hui présente dans trente-six pays. Ce ne sont pas des assistés, mais des « compagnons » qui s’installent à Neuilly-Plaisance, leur nom voulu par l’abbé Pierre respecte leur dignité. Quand il y a attiré Georges un marginal, il lui a dit « viens m’aider à aider ». La vente de matériel et d’objets de récupérations finance la construction de logements. En 1952, il gagne au quitte ou double une jolie somme (256 000 francs de l’époque) ; c’est aussi un autre moyen de faire connaître ses Compagnons d’Emmaüs. Le terrible hiver 1954, meurtrier pour les sans-abri, l’amène à lancer sur les ondes son fameux appel du 1er février qui rapportera une quantité considérable de dons, tant financiers que matériels, tout à fait inattendue qui posera d’énormes problèmes de stockage ! La participation de Charly Chaplin (deux millions de francs de l’époque), était accompagnée de ces mots : « je ne les donne pas, je les rends ». Les sommes récoltées serviront à la construction de « cités d’urgence ». Le combat de l’abbé Pierre aboutit non seulement à soulager la misère des sans-abri, à l’engagement de nombreux bénévoles dans toute la France mais aussi à la loi interdisant l’expulsion durant la période hivernale.

En 1963, il étend son action en fondant Emmaüs international. Il a toujours préféré créer plutôt que gérer : « Dieu merci, il y a autour de moi des gens merveilleux qui continuent partout dans le monde à développer la chose dont j’ai été, par hasard, l’instigateur ».

L’abbé Pierre s’est éteint le 22 janvier 2007 au Val de Grâce à l’âge de 94 ans ; ses obsèques ont été célébrées à Notre Dame en présence de très nombreuses personnalités et son inhumation au cimetière d’Estouteville, berceau de sa famille.

Puisse la flamme de l’amour fraternel qu’il a su ranimer ne s’éteigne jamais, car «  Les pauvres, en effet, vous les aurez toujours avec vous » (Mt 26,11).

Ghislaine Denisot

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *