Dévoilement

Je venais dans une bibliothèque chercher un livre de François Cheng. Ne trouvant pas le rayon, je m’adresse à une personne, lisant derrière son ordinateur. Elle se lève, empressée pour m’aider. En marchant, elle m’avoue ne pas connaître cet écrivain de l’Académie française. Je l’encourage à découvrir sa pensée profonde et nouvelle, unissant avec intelligence deux cultures et surtout deux spiritualités, le taoïsme et le christianisme. Habitué à penser les contraires, le « ying » et le « yang », Cheng pense le Christ seul Sauveur du monde ainsi : le Christ sur la croix étend les deux bras ; des deux côtés, il rejoint pour les vivre deux abîmes : celui du mal et celui de l’amour. Il subit l’enfer du mal et rejoint les plus suppliciés et les plus humiliés, en vivant l’amour gratuit et inconditionnel de Dieu. Seul, Celui qui vit les deux mystères totalement peut nous sauver.

Je reviens à ma guide bien intentionnée au milieu du labyrinthe des rayonnages de livres. Me questionnant, je n’aborde pas ces réflexions théologiques. Je me contente de parler d’un auteur qui a une pensée et fait réfléchir. Même parmi les immortels, nombreux sont ceux qui étalent un savoir brillant, avec nombre de citations, mais qui, le livre fermé, ne nous laissent pas une pensée qui nourrit vraiment. « Est-ce que le lire va m’élever ? ». Cette question me fait tressaillir, car elle ouvre une brèche qui me fait penser à nombre de rencontres où le Christ guette l’ouverture. Je lui parle du livre « De l’âme » où Cheng répond en neuf lettres à une amie qui lui pose la question : « Qu’est-ce que l’âme ? ».

Elle le prend pour elle et nous revenons lentement à travers le dédale des bibliothèques. Ces petits pas sont ceux de sa vie qu’elle me confie, avec l’accompagnement lourd de deux personnes de sa famille. Je l’écoute. Je comprends, car j’ai vécu l’accompagnement jusqu’au bout de personnes aimées qui entrent dans nos vies comme un appel de Dieu. Le sent-elle ? Lui fais-je découvrir qu’il y a de la vie et de la beauté dans ce qu’elle vit parce qu’il y a de l’amour gratuit ? Peut-être ? Toujours est-il, l’heure de la fermeture sonnant, qu’elle me lâche : « j’ai l’impression de parler à un prêtre ». « Je le suis, » lui ai-je dit, non sans penser au Christ avec la samaritaine ou l’aveugle né : « Je le suis, moi qui te parle ».

Joie du dévoilement qui demande du temps et de l’humilité. Il faut avoir un peu renoncé à faire voir ou à faire savoir rapidement. Et il ne faut pas s’arrêter aux apparences où qu’elles soient. La source pure ne désaltère qu’après un long parcours sous la terre. Jésus, après trente années de vie ordinaire à Nazareth, cachait, sous une apparence qui le confondait avec les autres, le mystère d’une vie en profondeur. Il s’étonne lui-même souvent de la joie vécue par une rencontre qui devient naissance. De même, dans les temps qui sont les nôtres, les apparences de superficialité d’une société de consommation cachent des souffrances et des attentes fortes et profondes. Il faut les percevoir et se tenir, dans le silence et dans la rencontre, le cœur ouvert et disponible à l’Autre et aux autres.