Connais-toi toi-même

Inscrite au fronton du temple d’Apollon, à Delphes, la célèbre maxime « Connais-toi toi-même » a inspiré nombre de grands philosophes, dont Saint Augustin. Elle a été reprise par le pape Jean-Paul II dans l’introduction de son encyclique « Foi et Raison ». Pourquoi la connaissance de nous-mêmes est-elle aussi importante et quel est le lien avec la spiritualité ?

La réalité matérielle s’observe

A une époque très lointaine où les mythologies mettaient en scène l’action des dieux pour expliquer le monde et les tribulations des hommes, les tout premiers philosophes grecs ont enseigné qu’il fallait plutôt observer la Nature et comprendre son fonctionnement. Cette position novatrice a fait son chemin. Socrate (Vème siècle avant J.C.), par cette approche, a perçu la complexité profonde de l’homme, sentiment partagé par ses successeurs. Pourtant il a fallu de nombreux siècles pour que l’observation de la Nature, comme fondement du savoir sur le monde physique, prenne le pas sur l’autorité des magistères.

Quelle place l’homme occupe-t-il dans la création ? C’est une question de grande importance, à laquelle tentent de répondre à la fois la religion, la philosophie et la science. L’homme est capable d’observer la Nature et d’en comprendre certaines lois de fonctionnement. Observation signifie relation dualiste entre sujet qui observe et objet observé. L’homme peut ainsi connaître sa partie matérielle et développer des solutions pour son bien-être. Mais cela ne lui donne pas les clés de l’existence.

Peut-on observer l’âme ?

La quête de sens a toujours été pressante, car l’orientation à donner à l’existence dépend des réponses obtenues. Saint Augustin, au IVème siècle s’est intéressé à cette question. Il se demandait : « par quel moyen l’âme peut-elle se connaître ? Est-ce qu’elle se connaît par un miroir comme l’œil se connaît ? Par souvenir d’une béatitude antérieure ? Ou bien par amour du savoir ? En réalité, rien de tout cela. L’âme se connaît par intuition d’elle-même, c’est-à-dire qu’elle est présente à elle-même au moment où elle cherche à se représenter elle-même. L’âme ne peut pas en effet connaître une partie d’elle-même par une autre partie. Par conséquence, elle doit se connaître intuitivement, à la fois en tant que vie et en tant qu’âme(1) »

Ainsi, la connaissance de soi s’atteint par deux voies : celle de l’intelligence rationnelle qui se nourrit d’observations et d’expériences mais reste limitée à ce qui peut être décrit ; celle de l’intuition qui permet d’atteindre des sphères plus élevées et d’obtenir des réponses au sens de l’existence. Ces approches se fécondent l’une l’autre : l’intuition ouvre de nouvelles perspectives que la raison peut explorer avec ses méthodes.

Nous vivons le changement

Au cours des cent dernières années la compréhension de la place de l’homme dans la création a beaucoup évolué : le rapport à l’immensité du cosmos, au déroulement du temps, à la matérialité, à l’insertion dans un système culturel, a grandement changé sous l’effet des découvertes scientifiques, de la conquête de l’espace, de la mondialisation, des nouveaux moyens de communication, etc. Contrairement à nos aînés qui vivaient dans la répétition de valeurs et de connaissances héritées de leurs parents, nous devons faire face à des changements rapides, réinventer notre cadre de vie et reconsidérer nos valeurs.

Acquérir une connaissance plus exacte de notre nature est par conséquent encore plus nécessaire que par le passé, pour fonder notre comportement moral dans un monde différent, mais aussi pour intégrer de manière harmonieuse la vision élargie de l’homme que nous avons acquise. Une exigence qui s’adresse à tous.

Cette responsabilité et cette autonomie plus grande de chaque personne, à notre époque, est en phase avec le christianisme. L’Evangile dit que le « royaume des Cieux », c’est-à-dire la vie divine, est au-dedans de nous, comme une réalité active cherchant à se manifester pleinement. Chercher à se connaître soi-même n’est-ce pas le meilleur moyen de découvrir ce royaume. « Cherchez et vous trouverez » (Mt 7,7).

 

1 – Contrairement à l’intellect, l’intuition n’opère pas en mode dualiste. L’intuition est une vue spirituelle. Par elle, nous arrive la lumière de la foi.