Intensité de vie

Nous avons tous entendu parler de l’assassinat du Père Olivier Maire le 9 août, prieur d’une communauté Montfortaine-en-Vendée. Il a été tué par un homme au passé déjà lourd parce qu’il avait mis le feu à la cathédrale de Nantes mais surtout parce qu’il portait de lourdes séquelles du génocide qui a eu lieu au Rwanda alors qu’il devait avoir une dizaine d’années. Nous sommes ainsi plongés devant le mystère du mal. Un péché dont nous pouvons être tellement victimes qu’il nous laisse avec des blessures profondes pour toute la vie : génocide et guerres, abandon et violences de toutes sortes dans l’enfance…!

En face de ce mystère indicible, il y a un autre mystère : celui de l’amour inconditionnel. Jésus, homme et Dieu tout à la fois, a vécu parfaitement ces deux extrêmes. Sur la croix, les bras écartés, il s’enfonce d’un côté dans l’abîme vertigineux du mal et de l’autre, il plonge dans l’insondable amour de Dieu. Parce qu’il vit ces deux extrêmes comme aucun homme sur terre ne peut le vivre, Lui Seul nous sauve de l’enfer du mal.

On a beaucoup disserté, y compris dans l’Église, sur le juste accueil, sur la prudence vis-à-vis d’un homme qui a fait des séjours en hôpital psychiatrique et même sur l’opportunité de sa présence sur le territoire français. Ce sont de bonnes questions que peuvent se poser tout citoyen, mais surtout des soignants, des juristes ou des politiques. Ils sont dans leur rôle.

Pour ma part, comme baptisé, à côté de ces réflexions nécessaires, il y a une autre considération essentielle, première, que je veux partager. Ce prêtre, dans sa mort, a accompli sa vie. Sa mort révèle une logique de don qui explique sa vie. Il est vivant dans sa mort. Et je l’envie, non dans le sens où il faut souhaiter la mort, mais en aspirant à vivre la mort comme un passage vers une plénitude de vie, donc d’amour. Peu importe alors qu’il ait été plus ou moins prudent. Il a fait ce qu’il a fait dans une logique d’amour. Et qui avance sur un tel chemin prend des risques. La rencontre avec tout homme, l’accueil du plus fragile, la présence auprès des malades, ne se vivent pas sans risque. Mais qu’est ce que la vie sans risque ? C’est une vie sans amour, une vie dans la peur de la mort. Quel est le chemin de Jésus ? N’a t-il pas pris des risques en rencontrant le lépreux, l’étranger stigmatisé par les bien pensants et même ceux qui s’estiment bien croyants ? Ces risques ne se prennent pas par bravade mais par l’appel irrésistible de l’amour des autres au fond de soi. Devant cet appel, tous les discours raisonnables paraissent folie.

Je recevais récemment des enfants dont j’ai enterré le papa mort du Covid. Pendant des mois, ils se sont privés de toute visite, de toute embrassade, pour ne pas apporter le virus. Et voilà que, indépendamment d’eux, c’est ce virus qui fait mourir leur père. Devant moi, ils étaient pleins de culpabilité, de colère contre tous…y compris contre Dieu ! Notre échange a été apaisant pour eux. Là aussi, à côté de tous les discours officiels, certes importants sur la prudence dans les comportements, sur la vaccination… nous avons dit autre chose, autre chose sur la vie et donc sur la mort. Ils sont repartis après l’enterrement, avec leur maman, convaincus de mettre la tendresse au dessus de tout. Quelle affaire si leur père était mort six ou huit mois plus tôt du Covid ? L’important c’est de faire l’expérience de la vie plus forte que la mort. Cette expérience s’appelle l’amour qui prend des risques, au lieu de se protéger dans l’obsession de la mort.

 

Baudoin, prêtre