Le port du havre

A l’heure où on parle de « réinventer la Seine », où les études visant à valoriser les atouts de cette mythique vallée semblent prendre corps, penchons-nous sur Le Havre un des trois pôles de ce projet avec Paris et Rouen, d’autant que la ville fête cette année son cinq centième anniversaire !

 En 1517, François 1er confiait à l’amiral Bonnivet une mission bien précise : « établir par deçà son duché de Normandie une ville et un port de mer ». C’était une attente des Normands, surtout de l’élite de Rouen et de Caen car les ports d’Honfleur et d’ Harfleur s’envasaient et ils souhaitaient un port d’escale sur la façade maritime du nord de l’Europe appelée « rangée nord européenne » ; à Paris, on penchait pour un port militaire. L’emplacement choisi par Bonnivet ne payait pas de mine ; il était marécageux mais avait un avantage : l’étale s’y prolonge plus de deux heures, c’est un grand atout ! Dès 1518, la première nef de guerre : « l’Hermine » entre dans le bassin du Roi, embryon du port moderne, grâce à la diligence du vice-amiral Guyon Le Roi qui en a reçu commande. François 1er, venu au Havre en 1520, accorde à la ville, avec ses armes « de gueule à la salamandre d’argent » le nom très provisoire de « Françoise-de-Grâce » qui deviendra « Le Havre », allusion à son rôle « faire havre ». Il s’agit alors d’une simple jetée avec deux tours de protection, un dock pour la marchandise plus un canal de liaison avec Harfleur qui ne sera terminé qu’en 1600. Port de pêche, entre autres à la morue, entrepôt et transatlantique, Le Havre se développa rapidement et s’enrichit de même, y compris avec la traite des noirs ! Point stratégique sur la Manche, la ville connut alternance de prospérité et de conflits comme les guerres de religion où craignant des représailles du roi, après avoir adopté la doctrine de Luther, elle se tourna vers les Anglais qui lui envoyèrent des troupes !
C’est durant la seconde Guerre que Le Havre connaîtra, un véritable martyre : cent quarante-six bombardements, près de dix mille immeubles détruits, autant endommagés et quatre mille morts ! Alors que, la bataille de Normandie était terminée et Paris libéré, Le Havre, toujours sous la botte allemande subissait, du 5 au 11 septembre 1944, d’effroyables bombardements de l’aviation alliée tandis que l’ennemi dynamitait les infrastructures portuaires et la ville, ce qui lui vaudra le titre peu enviable de « port le plus endommagé d’Europe » et la légion d’honneur au titre de son courage durant la guerre.
Le Havre est le second port français après Marseille, le premier pour les containers et le cinquante-huitième du monde avec un transit de 67 574 000 tonnes de marchandise. Il faut dire qu’il est fort bien desservi par l’autoroute et le Pont de Tancarville (1959) qui le mettent à une heure trente de l’Ile-de-France ; sa liaison avec le sud est facilitée depuis 1995 par le Pont de Normandie ; finies les traversées par les bacs en basse Normandie, plus lents mais si romantiques !
Pour ce qui est de la ville du XVIème siècle, œuvre de Bellarmato, architecte italien, Renaissance oblige, elle était établie sur un plan en damier. Après la guerre, sa reconstruction fut confiée à Auguste Perret, « le magicien du béton », selon un plan d’urbanisme moderne équilibrant les espaces et les volumes.
On pourrait évoquer bien des choses encore : les forêts de mâts des bateaux reliant l’Amérique au temps de la guerre d’Indépendance pour ravitailler les insurgés, les marins du monde entier fréquentant les tavernes, l’entrée au port du paquebot « Normandie », fierté nationale de1935 à 1941 avec ses trois cheminées et sur un registre plus badin : imaginons madame de Pompadour folâtrant sur la plage du Havre où Louis XV l’avait emmenée pour satisfaire son désir de voir la mer ! Notre visite très incomplète se termine au musée des Beaux-Arts André Malraux pour admirer les œuvres de Raoul Dufy, natif du Havre et des impressionnistes qui prirent leur essor autour de Boudin, le maitre de Monet et Pissarro, venu souvent ici poser son chevalet.
Oui Le Havre, au-delà de ses cinq cents bougies, mérite plus qu’un détour !

Ghislaine Denisot