Loi bioéthique

Après avoir brièvement examiné deux perspectives de la loi dite de bioéthique (l’Homme se veut son propre créateur, cette loi serait une utopie temporaire), je propose d’en examiner une troisième : serait-il possible de modifier ce projet de loi à la lumière de ce qui nous est donné par l’Église ? Serait-il possible de christianiser cette ambition démiurgique de l’Homme moderne qui, disposant d’une technique, ne peut s’empêcher de la mettre en œuvre ?

Deux questions se posent : est-ce légitime ? Est-ce possible et fructueux ?

À la première question, Mgr Michel Aupetit a clairement répondu oui, en rappelant que c’est un devoir : « si nous nous taisons, les pierres crieront » (d’après Lc 19, 40). Cette conception techniciste contenue dans ce projet de loi, qui de l’être humain ne perçoit que ses cellules, en oubliant sa dimension spirituelle (cf. Ézéchiel 37, 8-10), a été dénoncée par les manifestants contre l’extension de la PMA. De plus, des personnalités ne se disant pas chrétiennes s’inquiètent devant les dérives désastreuses possibles (manipulation génétique des embryons, rejet à la poubelle de millions d’embryons, eugénisme, chimères Homme-Porc, effets de la congélation sur les gamètes, …) et prennent position publiquement : Philippe Meirieu, José Bové, Sylviane Agacinski, Jacques Testart, …

Deuxième question : est-ce possible et fructueux ? La loi de séparation de l’Église et de l’État de décembre 1905 est un exemple qui nous montre que c’est possible et efficace : au début du XXème siècle, les catholiques de France se sont élevés contre une première version de la proposition de loi portée par le gouvernement d’Émile Combes et son ministre des cultes Georges Clemenceau ; le radicalisme antireligieux du gouvernement provoqua des troubles graves. De plus, le fichage par l’autorité militaire des Officiers catholiques pratiquants, provoqua la chute du gouvernement et poussa aux oubliettes ce projet Combes-Clemenceau.

Un autre texte fut proposé aux députés, beaucoup plus modéré, (ne réclamant pas la fin des processions, n’interdisant pas le port de la soutane en public, ne confisquant pas les édifices religieux pour les détourner du culte) proposé par Aristide Briand, rapporteur, et Ferdinand Buisson et inspiré par Jean Jaurès. Ces hommes politiques ont fait œuvre d’apaisement : grâce à eux, la République adopta une attitude conciliante et même si l’Église de France avait encore beaucoup de griefs contre ce régime (entre autres, l’expulsion des congrégations religieuses, l’interdiction de l’enseignement catholique), la paix civile peu à peu revint. Donc, la lutte contre le premier projet de loi a permis de faire advenir un deuxième projet de loi, beaucoup plus intéressant que le premier. Il est à noter que les réflexions d’Aristide Briand sur la laïcité sont d’une actualité totale et cette loi, outil précieux pour promouvoir la « laïcité à la française », doit à la fois à la culture et au talent de son rapporteur et aux catholiques de l’époque qui, en s’opposant vigoureusement au projet Clemenceau – Combes, ont obligé la République à adopter la modération et la tolérance.

Donc, il est possible que les chrétiens incitent les gouvernants à amender leurs projets. C’est légitime et fructueux, à condition de ne pas oublier que nous proposons une Parole qui ne nous appartient pas, qui porte une vision émancipatrice de l’Homme. Notre action doit à la fois argumenter sur des idées (sans contester l’institution légitime), et porter publiquement la force de l’enseignement de l’Évangile. Agir avec conviction, douceur et respect (1 Pierre 3, 15), sans donner le moindre coup contre les institutions collectives, est le meilleur moyen de défendre une vision anthropologique, c’est-à-dire de défendre l’humain contre une conception du progrès centrée sur la technique. Et de répondre aux angoisses provoquées par un asservissement de l’Homme aux techniques qu’il a mises au point.