Monsieur Vincent

OU LA VIE AU RISQUE DE L’AMOUR

Vincent Depaul ne découvrit sa voie que très lentement. Né en 1581 près de Dax, à Pouy, sa vie fut d’abord celle d’un cadet gascon qui, entré au séminaire pour faire carrière, chercha, ce qui était fréquent à l’époque, à se pousser dans le monde : voyage à Rome dans les bagages du vice-légat d’Avignon, obtention d’un poste d’aumônier de la reine Marguerite, première femme d’Henri IV, fréquentation du cardinal de Bérulle, nomination à la cure de Clichy et enfin préceptorat chez Philippe-Emmanuel de Gondi, neveu de l’archevêque de Paris.

Ce fut en 1617 que le fringant précepteur connut un choc l’amenant à un retour sur soi puis à la découverte de sa vocation. Ayant entendu parler d’une paroisse abandonnée située dans les Dombes, à Châtillon-sur-Chalaronne, il s’y fit nommer curé. Tout bascula pour lui le dimanche 20 août lorsque : « Comme je m’habillais pour dire la sainte messe, on vint me prévenir qu’en une maison écartée des autres, à un quart de lieu de là, tout le monde était malade sans qu’il restât une seule personne pour assister les autres, et toutes dans une nécessité qui ne se pouvait dire. Cela me toucha sensiblement le cœur. »

Après avoir regroupé en une confrérie les femmes de la paroisse de Châtillon, il revint à Paris sur les instances des Gondi, et mit l’influence de ses protecteurs au service de fondations qui se succédèrent à un rythme accéléré de 1619 à 1639, congrégation des prêtres de la Mission, autrement dits Lazaristes, en 1625, fondation des filles de la Charité (futures sœurs de saint Vincent de Paul) en 1633, œuvre des enfants trouvés en 1638. Tout en respectant la tradition, il innova dans trois domaines, l’assistance publique, la formation de congrégations féminines et de prêtres au service des plus pauvres.

A cette époque où le libéralisme naissant mettait en valeur la notion de travail et cherchait à se débarrasser des « paresseux » en réalisant le « grand enfermement » des pauvres et des vagabonds dans des Hôpitaux généraux, le seul fait de rappeler à une société qui se disait chrétienne que Jésus-Christ était présent dans les pauvres pouvait paraître subversif. Monsieur Vincent refusa la direction de l’Hôpital général de Paris installé à la Salpêtrière où six mille mendiants étaient contraints à travailler, et, rejetant cette logique de mise à l’écart des pauvres, il s’était fait une toute autre idée de l’assistance, de l’assistanat et de l’assisté. On lui prêta ce dialogue avec l’une de ses filles de la Charité : « Jeanne, tu verras bientôt que la charité est lourde à porter, plus que le broc de soupe ou le panier plein. Mais tu garderas ta douceur et ton sourire. Ce n’est pas le tout de donner le bouillon et le pain, cela les riches peuvent le faire. Tu es la petite servante des pauvres… Ils sont tes maîtres, des maîtres terriblement exigeants, tu verras… Alors, plus ils seront laids et sales, plus ils seront injustes et grossiers, plus tu devras leur donner de ton amour. Ce n’est que pour ton amour, pour ton amour seul, que les pauvres te pardonneront le pain que tu leur donnes. »

Après avoir tenté, avec plus ou moins de succès, d’organiser des « charités » de dames nobles ou de femmes riches, monsieur Vincent réunit quelques simples filles de la campagne et leur donna un règlement révolutionnaire : « Elles auront pour monastère les maisons des malades, pour cellule une chambre de louage, pour cloître les rues de la ville, pour voile la simple modestie, pour profession la confiance continuelle dans la Providence, l’offrande de tout ce qu’elles ont. »

« Apostolat du milieu par le milieu » avant la lettre, monsieur Vincent aura su discerner que les meilleurs apôtres des pauvres (car il s’agit indissociablement de sauver leur corps et leur âme ) seront les pauvres eux-mêmes.

Au début du XXème siècle, un lazariste presque aveugle, très humble et très savant qu’admiraient Bergson et Emmanuel Mounier, monsieur Pouget parlait ainsi de monsieur Vincent à de jeunes intellectuels venus converser avec lui :

« Imitateur, il ne l’était pas. Vincent ne commença à être sérieusement saint que lorsqu’il quitta les Gondi. C’est lui le premier qui a jeté les religieuses à la rue…. Les saints prêchaient par l’exemple, exhortaient peu, jugeaient peu, recevaient très bien les pécheurs, même les plus grands. C’est ce que faisait le Christ. La sainteté, au fond, ce n’est que l’unité poussée à l’extrême. »

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