Onze novembre 1918, et après ?

Nous avons fêté dans l’euphorie au niveau national mais aussi dans toutes nos communes, le centenaire de l’armistice qui mettait fin à une guerre très meurtrière, dévoreuse d’hommes ainsi que de biens matériels : villes, villages avec leurs monuments, récoltes saccagées, troupeaux décimés. Cette guerre et ses conséquences ont marqué non seulement ceux qui l’ont vécue mais la génération suivante, principalement dans le nord et l’est de la France qui avaient subi dans les zones frontalières l’occupation allemande et payé le plus lourd tribut aux destructions.

Penchons-nous sur « l’après conflit » et la mémoire de cette guerre qui devait être la « der des der ». L’hécatombe fut telle qu’elle n’épargna que bien peu de familles ; en effet, sur une population de 39,6 millions d’habitants, on a dénombré 1,4 million de morts et plus de 4 millions de blessés. Dans le journal de mon grand-père Paul Baratte, maire de son village occupé par les Allemands, je lis « Nous avions deux fils à l’armée. Nous ne les reverrons plus ni l’un ni l’autre. Le seul espoir qui nous soit laissé c’est peut-être de ramener leurs cercueils à Templeuve dans notre sépulture familiale. » Ce fut, à de rares exceptions, le vœu de la plupart des familles endeuillées. S’il était légitime, ce souhait était bien difficile à mettre en place car il fallait à la fois tenir compte des zones de combats surtout avant l’armistice et d’une volonté d’égalité de traitement entre riches et pauvres, entre officiers et simples soldats. D’autre part, chaque victime n’avait pas toujours été identifiée, inhumée individuellement en terrain militaire mais parfois dans des ossuaires. En absence de tout reste humain, on écrivait alors les noms des disparus sur les murs des cimetières. Le complexe problème du retour des corps incombait à l’Etat qui assuma cette lourde responsabilité ; il y eut malgré tout des profiteurs sans scrupule qui exploitèrent la douleur des familles.

L’Ossuaire de Douaumont, mémorial de la bataille de Verdun, incarne le souci du respect dû aux morts français et allemands, qu’ils aient ou non été identifiés. Rappelons que du 21 février au 19 décembre 1916, 700 000 victimes des deux camps périrent ou furent blessés dans ce secteur dont 130 000 non identifiés !

Par-delà ce souhait légitime de rapatrier les morts dans les caveaux de famille, il y eut aussi le besoin d’honorer publiquement ceux qui avaient donné leur vie pour la patrie et cela non seulement sur les lieux des combats mais aussi dans nombre de bâtiments publics ou privés. Ainsi, des plaques où figuraient les noms des victimes fleurirent dans les mairies, les petites et grandes écoles, les entreprises et dans les églises, où parfois comme à Juziers, elles surmontaient un autel votif. Il fallait aussi que cette « mémoire » s’inscrive visiblement dans chacune de nos communes et, dès 1919, commença l’érection des monuments aux morts. Une loi de 1890 avait confié aux communes la responsabilité d’ériger ces monuments. Très vite après la guerre et souvent initiées par les anciens combattants, ont été organisées des collectes pour ériger ces monuments non pour glorifier les victoires (comme l’Arc de triomphe) mais les victimes (comme le soldat inconnu). Si l’Etat subventionnait et règlementait les projets (loi du 25 octobre 1919), c’est grâce aux aides publiques et privées ; pourtant la France était exsangue, que trente-cinq mille monuments seront érigés sur notre sol.

Prenons Juziers comme exemple d’une implantation de monument aux morts. Il s’agit d’un village de quelques huit cents habitants : le 6 novembre 1919, le conseil municipal tient séance : « … se conformant à la grande majorité des souscripteurs décide que le Monument aux morts sera élevé sur la place de la mairie suivant le plan et le devis proposé par M. Jérome s’élevant à la somme de dix mille francs… ». Douze listes donnent le nom des souscripteurs privés ou associatifs et la somme recueillie : 9.101 francs. Le monument sera finalement érigé sur un terrain adjacent donné à la commune par madame et mademoiselle Couteux dont il porte le nom « square Couteux ». Le monument sera inauguré le 27 mars 1921 par le député et J. Busson-Billault, maire, après une messe de requiem célébrée à l’église, et au cœur d’un village pavoisé avec la participation des associations dont la fanfare.

Chaque année le 11 novembre, le dépôt de gerbe au monument aux morts est précédé d’une célébration au cimetière, au carré des militaires et d’un moment de recueillement devant chaque tombe de soldats. Au square Couteux, s’élève maintenant l’oiseau de la paix, œuvre unique de F. Chabot. Puisse-t-il être plus qu’un augure, une réalité pour aujourd’hui et demain.