Suis-je le gardien de mon frère ? (Genèse 4,9)

Les dix-huit mois qui viennent de s’écouler nous ont donné à plusieurs reprises l’occasion de nous poser cette question. La réponse nous est apparue évidente lorsqu’il s’est agi de consentir avec plus ou moins de facilité aux différentes mesures qui ont été prises pour éviter un emballement incontrôlable de l’épidémie et l’effroyable cortège de cris et de larmes qui l’aurait immanquablement accompagnée. Pour être gardien de notre frère, nous avons fait en sorte de ne pas être vecteurs de contamination et de propagation d’un virus qui pouvait tuer.

Mais nous commençons à peine à nous rendre compte de l’incroyable souffrance qui s’est installée dans le cœur et dans l’âme de toutes celles et de tous ceux que cette épidémie a littéralement coupés du monde. Quelle qu’ait été la raison de leur isolement et du fossé qui s’est irrémédiablement creusé avec le monde extérieur (peur, maladie, fragilités en tous genres, télétravail, chômage, précarité, violences, séparation, …), nous avons eu tendance à oublier petit à petit ceux avec lesquels nous n’étions pas « connectés ». Peu à peu, sans forcément en avoir conscience, nous nous sommes repliés sur nous-mêmes et sur un tout petit cercle d’intimes.

Aussi, je rends grâce pour tous les témoignages de solidarité qui sont arrivés jusqu’à mes oreilles, en particulier pour l’apparition au cours du premier confinement de petites équipes fraternelles, encore actives aujourd’hui et que je remercie vivement. Spontanément, des personnes chrétiennes ou non se sont mobilisées auprès de leurs voisins de quartier ou de village qu’ils savaient seuls pour s’assurer que tout allait bien, qu’ils ne manquaient de rien, prenant quelques minutes au cours d’une promenade pour s’arrêter discuter, prendre des nouvelles, partager quelques informations sur la vie locale, bref pour « reconnecter » avec le monde extérieur.

En effet, même si certains se disent très « connectés » (d’autant que ce n’est pas le cas de tous, en particulier des plus anciens et des plus précaires), ne nous y trompons pas : être connecté au monde extérieur via un écran, ce n’est pas vraiment être connecté au réel, ce n’est pas vraiment vivre. Car rien ne remplacera jamais la chaleur d’un regard ou d’un sourire échangé sur le pas d’une porte.

Alors, à l’occasion de cette rentrée scolaire, je vous invite tous à vous faire réellement gardiens de vos frères, en rejoignant ou en formant spontanément localement une petite équipe fraternelle qui se donne simplement pour mission de redonner vie à tous ces liens du quotidien qui nous unissent et font véritablement de nous des frères et sœurs en humanité.

Père Eric Duverdier, curé