Un cœur de pasteur

Les nouveaux scandales de l’église catholique dans l’état de Pennsylvanie m’ont profondément touché et déstabilisé. Un temps, je me suis surpris dans la volonté de ne plus porter ma croix autour du cou. Je me surprenais mettant machinalement ma main sur ma poitrine pour cacher mon identité dans la rue. C’est la première fois que cela m’arrivait. Mais une voix intérieure a pris le dessus: « la croix que tu portes, c’est moi, ton ami Jésus, qui porte le péché du monde. Et le péché le plus lourd c’est le péché dans l’Eglise, c’est le péché des prêtres ». « Que de souillures dans l’Eglise… et plus particulièrement dans le sacerdoce ! » (Benoît XVI pendant le chemin de croix au Colisée en 2005, quelques jours avant la mort de Jean Paul II). J’ai alors repris conscience que je devais porter cette croix. Ne plus la porter, c’était refuser de m’associer à la souffrance de Jésus. Et comment aurais-je osé, moi qui suis aussi pécheur ? N’empêche ! Je suis pris de vertige en apprenant ce nouveau scandale, de quelque trois cents prêtres ayant agressé sexuellement près de mille enfants jusqu’aux années 2000. Un enfant, c’est la beauté sacrée et vulnérable de la création de Dieu. « La beauté, quelle chose terrible ; c’est là que le diable entre en lutte avec Dieu, et le champ de bataille c’est le cœur de l’homme » (Dostoïevski).

Oui le diable existe, pour qu’un prêtre puisse tenir entre ses mains le Corps du Christ Ressuscité après un acte pareil ! « Qui donc est Dieu pour se livrer perdant aux mains de l’homme ? ».

C’est bien l’attitude du pape François qui m’apaise. Le rapport des juges dans l’état de Pennsylvanie, dénonce de façon cinglante les ruses et manœuvres incroyables de la hiérarchie pour cacher les faits. Reconnaître humblement devant tous ces dysfonctionnements et punir les responsables est chemin de renaissance. Et surtout pour les victimes qui sont des traumatisés à vie, c’est vraiment dire pardon. Beaucoup de chemin a été fait dans l’Eglise depuis dix ans, il faut le reconnaître. Nous sommes moins devant ces scandales dans des échappatoires oratoires en se demandant s’il y a prescription ou dans des demi-excuses avec quelques célébrations du pardon. C’est aussi à une profonde conversion de tous dans la vie de l’Eglise que nous sommes toujours et encore invités. « Tout ce qui se fait pour éradiquer la culture de l’abus dans nos communautés, sans la participation active de tous les membres de l’Église, ne réussira pas à créer les dynamiques nécessaires pour obtenir une saine et effective transformation. » (Lettre au Peuple de Dieu, 20 août 2018).

Comme il l’avait fait dans sa lettre aux catholiques chiliens, le 31 mai, le pape désigne clairement le cléricalisme comme une des causes essentielles du silence sur le comportement criminel et maladif de certains dans l’Église. Cette « manière déviante de concevoir l’autorité dans l’Église engendre une scission dans le corps ecclésial qui encourage et aide à perpétuer beaucoup des maux que nous dénonçons ». Une scission ? Le célibat n’est plus la blessure du cœur où Dieu fait couler un fleuve de tendresse et de compassion, mais la blessure qui, sans l’amitié du Christ, aigrit et enferme dans une dureté, une distance, avec la recherche d’une ascension dans les responsabilités et la hiérarchie.

Le cléricalisme a toujours existé ; aujourd’hui, moins on trouve de reconnaissance à l’extérieur de l’Eglise, plus on est tenté d’en chercher à l’intérieur ! En critiquant les religieux de son époque, Jésus dénonçait le danger du pouvoir pour tous et toutes les époques. Le cœur de l’homme ne change pas. En son temps, Luther a réagi contre les abus de pouvoirs et les scandales des « princes de l’Eglise ». Mais pendant des siècles, le prêtre de campagne vivait plutôt pauvrement avec le peuple du village, pauvre lui aussi, qui lui fournissait le « panier du presbytère ». Certes, il y avait de l’autoritarisme, les croyants devant obéir sans discuter, mais c’était toute la société qui fonctionnait selon un mode autoritaire et patriarcal.

J’admire la fidélité de beaucoup, prêtres, religieuses et laïcs, engagés depuis longtemps et avec bien des évolutions de notre société à la suite du Christ, en particulier dans les situations humaines difficiles : des familles et des enfants, prisons, hôpitaux, maisons de retraite, migrations, … ils suivent Jésus Bon Pasteur, sans titre, sans fonction. Chaque rencontre est pour Lui, comme pour eux, un évènement. Et, ils ont tenu. Comment ? N’oublions jamais que l’équilibre du prêtre, surtout dans le célibat, tient à l’émerveillement devant la confiance et le courage de bien des personnes, croyantes ou pas, mais toujours simples et discrètes. Le prêtre doit être comme Jésus, non dans un positionnement identitaire, non dans « un soin ostentatoire de la liturgie, de la doctrine ou du prestige de l’Eglise » (Pape François), mais dans un pèlerinage patient et humble, dans la disponibilité à tous. Jésus, en sortie sur les routes avec la Samaritaine et tant d’autres, se nourrit de toutes ces rencontres. L’équilibre du prêtre se trouve d’abord dans cette suite de Jésus doux et écoutant. C’est dans cette imitation que tant de prêtres de campagne, malgré leur solitude, ont trouvé un équilibre. Ils aimaient leur peuple et vivaient tout avec lui.

Notre monde, plongé comme aux premiers siècles de notre ère dans des soubresauts migratoires et de fin de civilisation, engendre beaucoup de violences, de souffrances et de solitudes. Les pasteurs doivent faire attention à ces mots du prophète Jérémie: « Vous avez laissé mon troupeau s’égarer et se disperser. Vous ne vous êtes pas occupés de lui. Eh bien, moi, je vais m’occuper de vous pour votre mauvaise gestion, dit le Seigneur. Je mettrai à leur tête de vrais bergers, grâce auxquels ils n’auront plus ni peur ni frayeur».