Café littéraire au domaine Berson
C’est par une belle matinée ensoleillée que se tenait l’édition d’octobre du café littéraire meulanais. Le public était en revanche clairsemé sans doute à cause de la concurrence du festival du fromage qui se tenait également ce jour-là, rendant difficilement l’accessible l’accès au domaine.
A travers la profusion de nouveautés de la rentrée littéraire 2025, notamment les romans pressentis pour le prix Goncourt décerné le 4 novembre (pour La maison vide de Laurent Mauvignier), le fil directeur de cette édition d’octobre tournait autour de la fragilité de la condition humaine oscillant entre grandeur et décadence. Ainsi le célèbre critique littéraire Frédéric Beigbeder règle ses comptes avec son père Jean-Michel, alias William Harben Carthew dans Un homme seul (Grasset 2024). Flamboyant chasseur de tête au temps de sa gloire, ce chasseur de tête, head hunter à l’américaine, mi-espion mi consultant RH finit misérablement, seul ruiné et malade après avoir régné en maître dans les hautes sphères du capitalisme moderne et surtout dénué d’empathie vis-à-vis de son fils déshérité.
A l’inverse, l’écrivain américain Jack London décrit dans Martin Eden (Macmillan 1909 et paru en 1921 en France) l’histoire stupéfiante et largement autobiographique d’un bagarreur issu des bas-fonds qui, après avoir sauvé un homme lors d’une rixe, se fait inviter chez cet homme, tombe amoureux de sa sœur, Ruth Morse, qu’il convoite mais ne peut épouser à cause des conventions sociales. Il finit par s’imposer comme écrivain à force de labeur après de multiples refus, mais quand il accède enfin à la reconnaissance, l’amour n’est plus au rendez-vous de cet aventurier embourgeoisé qui se laisse glisser à la mer.
Dans Les ombres du monde (place des éditeurs 2025 et prix Renaudot des lycéens 2025), l’universitaire rouennais Michel Bussi retrace le destin brisé du président du Rwanda Juvénal Habyarimana pulvérisé dans son avion le 6 avril 1994, élément déclencheur du terrible génocide des Hutus marqué par le rôle ambigu de la France de Mitterrand, amie du dictateur assassiné. Ce drame historique est évoqué après Gaël Faye dans Petit Pays (Grasset 2016) en parallèle d’une histoire d’amour entre le capitaine Jorik, en mission au Rwanda et Espérance, jeune professeur engagée dans la transition démocratique de son pays.
Le poignant destin de Marie Bashkirtseff (1857-1884) est évoqué dans son journal intitulé Journal (1873-1877) publié en 1887 et réédité en 1980. Cette riche aristocrate russe ukrainienne révèle des dons stupéfiants en tant que diariste, peintre, sculptrice et femme de lettres polyglotte. Interdite de chant par ses médecins, elle semble promise à un brillant avenir mais elle connaît une vie d’errances ponctuée d’amours purement imaginaires avant de finir dans son hôtel particulier du XVIIe arrondissement et son destin de déracinée est brutalement brisé à l’âge de 26 ans à la suite d’une laryngite chronique.
Sont ensuite évoqués d’autres livres plus rapidement. Le roman polyphonique L’oreille absolue (Edition de l’olivier 2025) d’Agnès Desarthe, où un musicien prépare un concours avec un jeune prodige qui ne sait pas lire une note. Le soldat désaccordé de Gilles Marchand (Le livre de poche 2024) où un ancien combattant est chargé de retrouver un soldat disparu en 1917, avec en filigrane une histoire d’amour vécue au milieu de l’enfer. Dans Haute folie (Gallimard 2025), Antoine Wauters raconte l’histoire de Joseph durement frappé par le destin après l’incendie de sa ferme familiale.
Dans L’homme qui lisait des livres (Julliard 2025), Rachid Benzine revisite le conflit israélo-palestinien à travers le destin d’un libraire palestinien balloté entre exode et prison au gré des vicissitudes de l’histoire et encore porteur d’espoir au cœur d’une bibliothèque improvisée au sein d’un camp de réfugiés. Dans Le roman de Marceau Miller (éditions de la Martinière 2025), le romancier à succès homonyme imagine vingt ans après la disparition tragique de sa sœur met en scène sa propre mort à 40 ans sous un faux nom suite à une chute après une escalade autour du lac Léman. Dans Quatre jours sans ma mère , Ramsès Kéfi raconte la fugue soudaine et inexpliquée d’Armani, la mère de famille qui plonge les siens dans un profond désarroi.
Sur le plan de la forme, l’animatrice met l’accent sur le développement du roman graphique structurée autour du tryptique introduction-intrigue-conclusion ou des bandes dessinées, conçus comme succession de séquences illustrées. Ainsi après la parution du roman de Cédric Sapin Defour, Son odeur après la pluie est adapté avec succès en BD. Le best-seller de Maud Ankawa, adapté en bande dessinée retrace le destin de Maëlle, brillante directrice financière d’une start-up qui part pour le Népal en quête d’une mystérieuse méthode de guérison.
On retrouve Michel Bussi avec ses Nymphéas noirs adaptés en BD par Fred Duval autour d’une sombre histoire de meurtre à Giverny, le village mythique de Claude Monet. Dans le même genre, Robert Badinter le père de l’abolition de la peine de mort, lui-même récemment décédé, rend hommage avec émotion à sa grand-mère disparue dans Idiss , illustrant ainsi la condition des immigrés de l’empire russe venus à Paris avant 1914. Adapté du podcast éponyme de Léa bordier, Amours (éditions Delcourt 2025) réunit dix témoignages de femmes illustrés par dix artistes autour de leurs parcours intimes et divers thèmes contemporains.
Cette rentrée littéraire regorgeait ainsi de pépites qu’il est impossible de citer toutes ici. Rendez-vous est fixé aux aficionados pour les approfondir et exercer leur propre talent dans le cadre de l’atelier d’écriture prévu au domaine le samedi 13 décembre.
Patrick Dessertenne

