Cœurs sans Frontières

Vous êtes placé à l’assistance publique à la fin de la deuxième guerre mondiale et vous décidez d’en savoir plus sur vos origines. Après avoir essuyé un certain nombre de refus de l’administration, un beau jour, vous pouvez enfin accéder à votre dossier et petit à petit des portes s’ouvrent. Vous découvrez alors qu’à la fin de la guerre, votre maman, Française, est partie en Allemagne avec votre Papa, Allemand, vous confiant à une nourrice, qui au bout d’un an, sans nouvelles de vos parents, vous a laissé à l’assistance publique. C’est un choc, et maintenant, surgissent d’autres questions : « Mes parents sont-ils encore en vie ? », « Ai-je des frères et des sœurs ? », « Comment faire pour les retrouver ? ». Vos investigations vous mènent à une association franco-allemande, « Cœurs sans Frontières – Herzen ohne Grenzen » dont l’objectif est d’aider les enfants de la guerre français ou allemands à avancer dans leur recherche identitaire, voire à retrouver une famille.

Vous êtes Léo Bernard, bien connu de nos lecteurs, à travers vos mandats municipaux à Hardricourt, le garage que vous avez tenu pendant des années, vos engagements associatifs, en particulier au sein de la Compagnie d’Arc d’Hardricourt. Avec Denise, votre épouse, vous avez sollicité notre journal pour faire connaître cette association, afin peut-être d’aider d’autres personnes à retrouver leurs origines. Nous avons donc rencontré Chantal Le Quentrec, présidente de l’association, pour en savoir plus.

Bonjour Madame Le Quentrec, merci de nous recevoir. Pouvez-vous dire à nos lecteurs ce qui a motivé votre entrée dans l’association ?

Comme beaucoup des adhérents de l’association, je me suis trouvée face à un secret de famille concernant ma naissance en août 1944. Je savais que j’étais née hors mariage mais j’avais mis mes questions dans ma poche avec un mouchoir par-dessus. Et puis, un jour, après l’avoir longtemps observé en vitrine, je me suis décidée à acheter le livre « Enfants Maudits » de Jean-Paul Picaper qui avait recueilli des témoignages du mal-être d’adultes nés pendant la seconde guerre mondiale, souffrant de ne pas connaître leurs origines, l’histoire de leurs parents. Je me suis rendu compte que je n’étais pas seule. Cela a été le déclic pour entamer la recherche de mes origines ; j’ai alors rejoint l’association « Cœurs sans Frontières » qui aide les « enfants de la guerre » à retrouver leurs origines et dont je suis devenue présidente en 2017.

Que mettez-vous derrière « enfants de la guerre » ?

Ce sont tous ces enfants qui ne doivent pas montrer qu’ils existent. Hier, c’étaient les enfants nés en France de soldats allemands, les enfants nés en Allemagne d’un père effectuant le STO (Service de Travail Obligatoire) ou prisonnier en Allemagne ou les enfants de soldats français en zone d’occupation de l’Allemagne après la 2ème guerre mondiale, jusque dans les années 1947-48. Ces enfants franco-allemands sont d’ailleurs la plupart de nos adhérents ; plus près de nous, ce sont les enfants nés en Indochine de parents militaires français. Malheureusement, tant qu’il y aura des guerres, il y aura des « enfants de la guerre ». A la fin de la seconde guerre mondiale, il y avait un problème de repeuplement ; donc, chaque état essayait de retrouver et de garder « ses » enfants, en brouillant les pistes pour que les familles ne les retrouvent pas par la suite. Il y a un d’ailleurs un documentaire qui analyse très bien la situation de ces enfants perdus : « 1945 : Les enfants du chaos », d’Agnès Pizzini et Julien Johan qui a été diffusé en janvier sur France 5.

Quel soutien apporte l’association « Cœurs sans Frontières » ?

Pour être plus précis, elle s’appelle exactement : « Cœurs sans frontières – Herzen ohne Grenzen ». Elle apporte une aide active à la recherche avec la spécificité de chaque pays. Elle sait à quelles portes frapper. Elle apporte aussi un soutien moral. Quand vous cherchez vos parents, c’est très difficile, il faut être pugnace. Vous avez une piste et puis, elle n’est pas bonne, alors vous recommencez. Parfois aussi, il y a des pressions de familles chez qui trop de douleurs se ravivent. C’est bon d’être entouré. Sans parler du problème de la langue. Quand vous n’avez pas appris l’allemand, ce qui est mon cas, se retrouver à chercher des origines en Allemagne est impossible. Nous avons des traducteurs dans les deux pays qui épaulent nos adhérents. Et l’association a un site Internet, dans les deux langues, qui offre la possibilité aux adhérents de témoigner et de lancer des avis de recherche.

Comment fait-on pour rentrer dans l’association ?

C’est très simple : le premier contact passe par les coordonnées inscrites sur notre site Internet. Je prends alors rendez-vous, la plupart du temps téléphonique, avec la personne qui souhaite rejoindre l’association. Cela permet aux gens de parler et d’être compris. Du fait que j’ai vécu ce qu’ils vivent, je comprends leur mal-être. C’est un peu comme quand vous vous cassez la jambe, quand vous dîtes que vous avez mal, celui qui s’est déjà cassé la jambe est vraiment à même de comprendre votre douleur… Si nous sommes d’accord pour travailler ensemble, nous demandons aux personnes d’adhérer à l’association : nous n’avons pas de subvention et ne vivons que d’adhésions et de dons. Ensuite, nous sommes structurés en régions : Île-de-France, Ouest, Sud-ouest, Sud-est, Nord, Est et l’Allemagne. Je mets ensuite le nouvel adhérent en contact avec un responsable bénévole de sa région, une personne fiable qui sait écouter, prendre les demandes de recherche de famille et les aider.

Est-ce que vos adhérents peuvent se rencontrer ?

Oui, il y a tous les ans une rencontre régionale et également une rencontre avec tous nos adhérents. Cette année, c’est à Cologne en Allemagne. Nous en profitons pour faire notre assemblée générale. Nous organisons aussi des témoignages et des interventions sur le sujet comme cette année celle de madame Elke Kleinau, professeur à la faculté des sciences humaines de l’université de Cologne, qui a réalisé une étude sur les enfants nés en Allemagne dans l’après-guerre ; bien sûr, nous avons aussi des temps de visite et d’échange entre nous. Une soixantaine d’adhérents, français ou allemands, sont inscrits. Lors de chaque intervention, les traductions dans l’autre langue sont projetées.

Quelles sont les autres principales difficultés ?

Il y a le problème de l’accès aux archives. En France, elles ne sont accessibles que soixante-quinze ans après l’entrée du dernier document dans le dossier. En France et en Allemagne, un acte de naissance intégral ne peut être délivré que cent ans après la date de naissance ; en Allemagne, ces actes ont rarement des inscriptions marginales et pour une information liée à la santé, c’est cent vingt ans ! Il y a aussi les tests ADN qui permettent de fiabiliser les résultats de recherche qui sont autorisés en Allemagne mais pas en France. Cette différence de législation est quand même la plus grosse difficulté dans nos recherches. Ensuite il y a les secrets de famille que tous ne sont pas prêts à dévoiler : mutisme d’un côté, pressions de l’autre nous bloquent parfois dans la poursuite de nos investigations.

Combien avez-vous d’adhérents et quels sont vos résultats ?

Nous avons environ cent quatre-vingts adhérents disséminés entre la France et l’Allemagne, particulièrement dans le Baden-Würtemberg. Mais on reçoit tout le temps des appels de nouvelles personnes, de notre âge (75-80 ans) ou de l’âge de nos enfants qui se doutent qu’il y a « quelque chose » et veulent savoir. Sur le secteur de distribution de votre journal, nous avons d’ailleurs deux adhérents ! A ce jour, une centaine de personnes ont retrouvé leur famille. C’est toujours très émouvant : nous avons par exemple un adhérent apiculteur qui a retrouvé sa famille en Allemagne et s’est aperçu que son père était aussi apiculteur… Certaines ont même obtenu la nationalité française ou allemande. Les résultats sont encourageants !

Bravo pour le dynamisme de votre association et merci beaucoup pour cet entretien, madame Le Quentrec. Nous espérons qu’il intéressera nos lecteurs. Pour en savoir plus, nous les invitons à consulter votre site Internet très complet :

https://www.coeurssansfrontieres.com/fr/

 

(Propos recueillis par Véronique Schweblin)

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