Comment devient-on mystique ?

Dans un article précédent, le mysticisme a été présenté comme l’expérience d’une vie infiniment supérieure à la vie habituelle, se traduisant par des périodes d’extase, par l’accès conscient au plan de l’unité qui sous-tend tout l’univers, par des talents multiples et puissants et parfois par des phénomènes physiques ou psychiques impressionnants. Le christianisme a connu de nombreux mystiques depuis ses tout débuts jusqu’à nos jours.

 Les religions ont un rôle important dans le mysticisme. A la fois pour montrer le but à atteindre, encourager le néophyte et lui proposer conseils et méthode et enfin pour fournir un cadre d’interprétation aux expériences réalisées. Un mystique chrétien comprendra qu’il a rencontré Dieu qu’il aime et recherche. Un athée sera désemparé(1)

Comment devient-on mystique ? En vérité, pour certains, la première expérience se produit sans préavis. On pense à Saul de Tarse sur le chemin de Damas(2) et à sa transformation radicale pour devenir l’apôtre Saint Paul. Plus près de nous, André Frossard (1915-1995), journaliste et académicien, a raconté(3) la soudaineté de l’expérience vécue à vingt ans qui, en quelques minutes, a transformé sa vie, faisant instantanément de lui, athée, un chrétien très convaincu.

 

Mais pour la grande majorité des mystiques, il semble, d’après leurs écrits, qu’un long développement de la conscience spirituelle ait précédé l’extase. Beaucoup de mystiques et particulièrement les mystiques chrétiens, insistent sur ce processus organique dont voici les principales étapes.

Il commence par un éveil, une prise de conscience qu’il existe des potentialités dans l’homme, au-delà de la vie naturelle. L’attention portée à ce nouveau domaine d’expériences et une évolution interne à la personne l’amènent ensuite à une illumination de son intelligence et à une mobilisation de sa volonté, avec la vision du but à atteindre et des moyens à mettre en œuvre. Cette illumination semble procurer un grand bonheur, mais ne représente qu’une étape.

La vie nouvelle espérée, qui se situe dans la psyché, exige d’importantes transformations mentales et particulièrement l’acceptation par la personne de la nature limitée et contingente des phénomènes de sa conscience objective(4) et des formes conceptuelles(5) de sa conscience rationnelle. Comme la personnalité humaine se construit au moyen de ces deux fonctions de conscience, s’en dissocier est en général très difficile. On appelle cette nouvelle étape la phase purgative. Elle inclut une période de perte de repères, délicate à vivre, parfois appelée nuit obscure de l’âme. Lorsque les réglages psychologiques et psychiques sont achevés, que le mystique en développement s’est détaché de tous ses modes de perception et de ses repères habituels, alors la vie nouvelle et la conscience unitive qui lui est associée peuvent émerger.

Union sublime de la créature et du créateur, noces éternelles, prodige de l’amour parfait : le vocabulaire amoureux semble seul en mesure de donner une image adaptée de ce nouvel état d’être et de la félicité qui en découle. On peut relire, dans cette perspective, le Cantique des cantiques de la Bible pour mesurer à quel point cette passion amoureuse façonne l’âme du mystique.

Mais sommes-nous concernés ? A chacun d’apporter une réponse personnelle à cette prodigieuse espérance et à l’invitation de Dieu qui nous habite. Le chrétien, tout particulièrement, travaille à ces noces de l’âme.

  1. Pour illustration, le livre d’André Comte-Sponville : L’esprit de l’athéisme. Introduction à une spiritualité sans Dieu.(2006)
  2. Actes des Apôtres 9, 13-19 et II Cor 12, 1-6
  3. André Frossard : Dieu existe, je l’ai rencontré (1969) et Il y a un autre monde (1976)
  4. L’activité sensorielle se traduit dans notre conscience par des représentations sous forme d’objets, avec leurs qualités de forme, de couleur, de goût, etc.. Nous avons cette conscience en commun avec les animaux.
  5. Les concepts utilisés dans notre activité mentale sont des abstractions, des généralisations. Ils jouent pour l’intelligibilité un rôle semblable aux formes physiques des objets. Par comparaison, on parle de formes mentales. Cette conscience intellectuelle ou rationnelle est propre à l’humanité.

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