Consolation

Journaliste, écrivaine, réalisatrice, Anne-Dauphine Julliand ne cesse, à travers ses livres(1) et le documentaire qu’elle a réalisé (« Et les mistrals gagnants », en 2016), d’attirer notre attention sur les plus fragiles d’entre nous, les enfants malades et les personnes en souffrance.

« J’ai perdu mes filles. Mes deux filles. D’une « leucodystrophie métachromatique ». Un nom barbare pour une maladie rare, qui détruit tout sur son passage », rappelle-t-elle dans ce nouveau récit qui rassemble en un bouquet fragile les étapes de la vie d’après. Après la sidération, après la maladie et son cortège de frayeurs et de vains espoirs, est venue la mort impitoyable. Thaïs est emportée à l’âge de 3 ans, en 2007, sa petite sœur Azylis dix ans après.

« On ne peut se faire juge de la douleur d’autrui »

Anne-Dauphine Julliand n’a pas de recette pour les parents « désenfantés ». Cela reste une insondable souffrance. Il faut vivre avec et se réjouir quand elle desserre un peu les crocs : « Certains jours, qui parfois durent longtemps, on ne peut pas avancer d’un pas ».

Avec son mari et ses deux garçons, Anne-Dauphine Julliand en atteste : « Vivre la peine, c’est la seule façon d’être aussi capable de vivre la joie ». D’une écriture sobre et pudique, habitée d’un souffle, elle évoque la souffrance indescriptible, « celle qui déchire l’âme, qui ne se raconte pas ». Et l’auteure qui ne hiérarchise pas la souffrance, qui ne revendique nulle expertise, s’adresse à tous ceux qui sont aspirés par le chagrin, quel qu’en soit la cause, car « on ne peut se faire juge de la douleur d’autrui ».

Le besoin des autres

La souffrance, « elle ne se soigne pas, elle ne guérit pas. Elle s’éprouve, elle se vit. Et se vit seul ». D’où l’importance de ces mots apaisés que l’auteure pose sur le drame traversé et toujours à fleur d’âme, ouvrant une brèche pour ceux qui assistent, impuissants, au malheur d’autrui : « C’est difficile, je le sais, de s’approcher si près et si vite de quelqu’un dans l’épreuve ».

Elle écrit encore : « J’ai beaucoup souffert et je souffre encore. Mais j’ai appris la consolation, ce délicat rapport à l’autre : s’approcher, toucher, parler ».

Face à la souffrance, il est normal de balbutier, de ne pas savoir quoi murmurer aux proches et aux amis en deuil. Pourtant, confirme Anne-Dauphine Julliand, « quand nous souffrons nous avons plus que jamais besoin des autres ». Alors ouvre-t-elle quelques pistes pour consoler ceux qui sont aspirés par le chagrin : « Consoler, ce n’est pas nécessairement sécher les larmes. C’est souvent les laisser couler ».

Elle écrit : « Il n’y a pas de consolation sans souffrance et il ne devrait pas y avoir de souffrance sans consolation ».

« La souffrance, elle vient se nicher dans le cœur de notre cœur, dans l’intimité, là où personne ne peut nous rejoindre ». Comment consoler, si l’on ne peut rejoindre celui qui souffre ? « Consoler ce n’est pas comprendre, explique Anne-Dauphine Julliand, ce n’est pas se mettre à la place de l’autre, c’est s’avancer le cœur ouvert, avec tous les récepteurs ouverts pour écouter le cœur de l’autre, son battement, sa vibration, ses larmes aussi, et pour pouvoir les accompagner ».

Si la souffrance nous fragilise, c’est pourtant « dans cette fragilité-là qu’on a le plus besoin de l’autre ». Anne-Dauphine Julliand en est persuadée, « il n’y a que l’autre pour nous restaurer dans une intégrité qui est blessée et nous permettre de redevenir entier. (…) On peut se consoler soi-même, s’apaiser, mais la consolation c’est une relation, en fait, c’est ça qui est très beau, ce n’est pas un geste, c’est une relation, c’est une danse que l’on fait ensemble ».

Le temps qui s’étire

À chacun de faire ce qu’il sent pour s’approcher comme il peut des endeuillés. Il y faut du temps, et Anne-Dauphine Julliand s’élève contre le Parlement qui légifère pour définir combien de jours octroyer lors de la perte d’un proche : « Il faut laisser le temps aux larmes, à la peine, à la désolation, à la consolation ».

Tout est question de temps, le temps qui s’étire, qui laisse perdurer la douleur, et que la consolation vient éclairer d’un faible rayon de lumière : « Le temps paraît illimité, comme une interminable nuit, pour celui qui souffre. (…) L’épreuve se vit au rythme lent du présent ».

Consoler ceux qui attendent d’être consolés

« J’ai perdu mes filles. Je le dis le cœur habité par deux sentiments que l’on croit souvent contraires la douleur et la paix.  La douleur de celle qui pleure. Et la paix de celle qui est consolée » ; son livre, Anne-Dauphine Julliand l’a écrit pour « ceux qui doivent consoler » et « ceux qui attendent d’être consolés ».

Nous serons tous, tour à tour, de ceux-ci ou de ceux-là.

Eric Le Scanff

 

(1) Cf notamment Anne-Dauphine Julliand, Deux petits pas sur le sable mouillé: Paris, Les Arènes, 2010

 

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