Antonio Garcia, directeur du centre Gilbert Raby de Thun et Frédéric Sorbara, médecin chef

Bonjour messieurs. Tout d’abord, merci de nous accueillir et de nous consacrer du temps pour présenter les activités du centre Gilbert Raby de Thun. Avant de vous présenter à nos lecteurs, pouvez-vous décrire votre établissement ?

Antonio Garcia (AG) : notre établissement est implanté dans un parc arboré de sept hectares en bord de Seine au lieu-dit de Thun, sur la commune de Meulan-en-Yvelines. Le centre Gilbert Raby, du nom de son fondateur, est le premier centre postcure de France créé en 1954 par l’association « La santé de la famille des chemins de fer français » qui proposait aux patients, ayant une dépendance à l’alcool, un cheminement vers l’abstinence. C’est un établissement de santé privé d’intérêt collectif (ESPIC) participant au service public hospitalier spécialisé dans l’addictologie et le traitement de la dépendance, de niveau 2 (sevrage simple et situations complexes : troubles avec co-morbidités, fragilités physiques ou psychiques associées, …). Il propose aujourd’hui un panel de prises en charge en addictologie : alcool, médicaments, tabac, drogue, en hospitalisation complète et ambulatoire (hôpital de jour). Le centre est géré depuis 2017 par la fondation « l’Elan retrouvé ». D’une capacité totale de 125 lits, il offre des soins dans quatre unités complémentaires :

  • 50 lits de psychiatrie non sectorisée,
  • 5 places d’hôpital de jour de psychiatrie addictologique,
  • 60 lits de soins de suite et de réadaptation en addictologie,
  • 10 places d’hôpital de jour SSR-A (soins de suite et réadaptation spécialisés en addictologie).

Avant de revenir sur les activités du centre, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

AG : marié et père de deux enfants, je peux dire que j’ai un parcours atypique puisque j’ai débuté ma vie professionnelle comme agent d’entretien dans une maison de retraite à Poissy. J’ai ensuite exercé différents métiers du soin : aide-soignant, sapeur-pompier et manipulateur en radiologie ; puis j’ai fait un volontariat de service long comme officier des services de santé de l’armée avant de devenir cadre de santé, puis cadre supérieur. En 2013, j’ai pris la fonction de directeur adjoint au CHIMM, en charge des affaires générales. C’est en 2018 que je prends la direction du centre Gilbert Raby et je suis heureux d’y travailler car je m’y sens utile. Mon travail contribue toujours au service public hospitalier mais je le réalise avec une plus grande souplesse qui permet d’en maximiser les effets auprès de ses bénéficiaires. Bien sûr, j’ai dû reprendre mes études et suivre une formation diplômante, celle de management général à l’ESSEC.

Le Centre Gilbert Raby a connu une certaine renommée nationale, voire internationale par le passé, en lien en particulier avec les activités du docteur Vachon-France. Souhaitant renouer avec ce passé, je ressentais le besoin de renforcer le dispositif médico-psychiatrique. Dans cette optique, je suis heureux d’avoir convaincu le docteur Frédéric Sorbara, de nous rejoindre, depuis le 2 novembre dernier, en tant que psychiatre-médecin chef.

Frédéric Sorbara (FS) : effectivement, mon arrivée est récente et mon parcours a quelques similitudes avec celui d’Antonio Garcia. Je n’ai pas eu la même carrière militaire mais j’ai quand même été aide-moniteur parachutiste pour les préparations militaires parachutistes (PMP). Puis, avec un père médecin anatomo-pathologiste et une mère biologiste au CNRS, je me suis logiquement lancé dans des études de médecine à Toulouse, ma ville natale. Durant mes études, j’ai exercé différentes activités paramédicales : agent des services hospitalier (ASH), aide-soignant, agent de stérilisation, brancardier, infirmier, puis infirmier de bloc opératoire avant de partir à Bordeaux pour effectuer mon internat de psychiatrie. Par la suite, j’ai été chef de clinique assistant (CCA) au CHU de Bordeaux dans le service des professeurs Bourgeois et Verdoux. J’ai fait ensuite un passage dans l’industrie pharmaceutique comme médecin conseil en neurosciences dans les laboratoires Lilly pendant trois ans avant de reprendre une activité clinique de médecin coordinateur à la clinique des Orchidées à Andilly (95) pendant trois ans puis à la Villa des Pages au Vésinet (78) durant dix années. Sollicité par Antonio Garcia pour mettre en œuvre un projet ambitieux, j’ai rejoint le centre Gilbert Raby le 2 novembre dernier.

Avant d’évoquer l’activité du centre et le projet, pouvez-vous nous dire quelques mots sur la fondation « l’Elan Retrouvé » qui a remplacé l’association « La santé de la famille des chemins de fer français » en 2017 ?

AG : fin 2016, l’association a recherché un autre organisme solidaire non lucratif pour porter son activité d’addictologie hospitalière. C’est « L’Elan Retrouvé » qui a été choisi car ses orientations correspondent à celles de notre fondateur Gilbert Raby, plaçant la personne au cœur de sa prise en charge, dans le souci de l’accompagner dans tout son parcours, du soin jusqu’à l’insertion sociale et/ou professionnelle.

Ses valeurs d’humanisme et de tolérance, et notamment sa coopération avec l’ensemble des acteurs de la santé mentale et son ouverture au monde, correspondent également à notre démarche. Fondé en 1948, « L’Elan Retrouvé » apporte le cadre juridique nécessaire à notre centre qui est complémentaire au dispositif de psychiatrie et d’accompagnement du public et du privé.

Cette fondation comprend actuellement trente-cinq établissements privés solidaires et sa gestion mutualisée permet d’optimiser les coûts de fonctionnement en particulier dans les domaines administratifs : ressources humaines, comptabilité, etc.

Vous avez évoqué les quatre unités de soins que comporte l’établissement disposant d’une capacité totale de cent vingt-cinq lits, pouvez-vous nous en parler ?

FS : comme l’a indiqué Antonio Garcia, le centre Gilbert Raby est un établissement spécialisé dans les soins en addictologie et le traitement des dépendances et centre de recours en addictologie de niveau 2. Il accueille donc des patients qui ont déjà reçu des soins dans d’autres structures, publiques ou privées, comme par exemple des patients pouvant avoir effectué un premier sevrage dans un service de psychiatrie comme celui du CHIMM à Bécheville. Des centres spécialisés en prévention en addictologie (CSAPA), des addictologues et des psychiatres nous adressent également des patients. Nous les recevons après examen de leur dossier de demande d’admission et une lettre de motivation par laquelle ils ont préalablement donné leur consentement pour une période de sevrage moyenne de trois semaines, des soins de suite de huit semaines ou une prise en charge en hôpital de jour pouvant être de plusieurs mois. Près de 80% d’entre eux souffrent d’une addiction aux boissons alcoolisées et au tabac, 40 % à une drogue illicite et 12 à 15% sont dépendants des médicaments. Vous allez me dire que cela fait plus de 100%, mais malheureusement un patient a souvent plusieurs addictions en même temps.

Vous avez dû constater une évolution des addictions ces dernières années ?

FS : oui, les addictions sont de diverses natures et on a vu croître des addictions comportementales ou sans substances (aux jeux, au sexe, aux écrans, au sport et au travail : « les work-addicts »), les addictions médicamenteuses et l’arrivée des nouvelles drogues de synthèse.

C’est pourquoi nous devons nous adapter en développant une approche plurielle et pluridisciplinaire qui permettra à chaque patient de bénéficier de programmes de soins individualisés répondant à ses propres besoins où tous les professionnels comme des bénévoles ont un rôle complémentaire à jouer.

Une de mes motivations à rejoindre cet établissement est que, sous l’impulsion de son créateur Gilbert Raby et avec la reprise par la fondation « L’Elan Retrouvé », le centre Gilbert Raby partage des valeurs d’humanisme et d’ouverture en mettant la personne au cœur des dispositifs.

Et les traitements ont-ils beaucoup évolué ?

AG : depuis la création du centre, l’évolution principale c’est d’avoir la possibilité de traiter un patient non seulement en internat mais également en hospitalisation de jour. Nous avons mis en place des ateliers thérapeutiques basés sur des travaux manuels, des activités réflexives, des groupes de parole, des activités sportives, une prise en charge diététique et des repas thérapeutiques. Enfin l’ouverture à d’autres thérapies avec l’intervention d’organismes ou d’associations extérieures a permis la création de groupes de formation et d’éducation. Le groupe échange et apprend à partir de questions basiques, comme par exemple « l’alcool, c’est quoi ? », ou des mécanismes cognitifs avec des jeux de rôle et surtout les préparations à la sortie avec des mises en situations comme « je prends l’apéritif, je vais au restaurant, etc. », chacun partageant son vécu.

FS : oui, nous devons être novateurs dans ces domaines. Les principales évolutions de prise en charge des patients s’inscrivent dans une démarche bio-psycho-sociale. Les perspectives biologiques, psychologiques et sociales des addictions sont intégrées en permanence sur un pied d’égalité et sans exclusion dans notre démarche thérapeutique.

La participation active du patient dans ses soins et une information/éducation à la santé adéquate sont particulièrement importantes. D’autres éléments sont nécessaires comme travailler sur l’environnement du patient, sa famille, en particulier le conjoint et les enfants, mais également en intégrant des « pairs aidants » (bénévoles d’associations).

AG : nous avons développé également un accompagnement social, car la précarité sociale est souvent en lien étroit avec l’addiction. Il est important d’accompagner la personne pour son retour dans la société. C’est ce que fait, entre autres, Bernard Flandre, patient lui-même en 1973, dans le cadre de son Association des amis de Thun (ADAT). Avec ses bénévoles, il participe à la vie quotidienne du centre en proposant aux patients des moments de loisirs ou des aides financières (micro-prêts, tickets SNCF, dons de vêtements, etc.). Nous avons également mis en place des réunions bimensuelles sur le thème « sortir et s’en sortir » qui permettent des échanges entre patients, anciens consommateurs et accompagnants.

Vous avez évoqué en début d’entretien un projet ambitieux, de quoi s’agit-il ?

FS : effectivement, il faut rappeler que cet établissement est le seul en France à prendre en charge les personnes tant sur le plan biologique et psychologique que social dans quatre secteurs complémentaires d’addictologie (sevrage, soins de suite en addictologie, hôpital de jour et bientôt ouverture de lits médico-sociaux de halte soins santé). Nous avons pour projet de développer l’activité des ateliers thérapeutiques et de diversifier les groupes d’éducation thérapeutique en nous appuyant sur un projet architectural ambitieux.

AG : le projet architectural du centre Gilbert Raby prévoit la construction en 2021-2022 d’un nouveau bâtiment destiné à accueillir les ateliers thérapeutiques, les hôpitaux de jour, la pharmacie et la lingerie. Ce sera un bâtiment bioclimatique à ossature bois construit dans un esprit de développement durable. Cette construction, qui va débuter en mars prochain, va libérer des espaces permettant d’accueillir vingt-cinq lits médico-sociaux de halte soins santé destinés à donner des soins à des personnes précaires. Ces investissements vont donner un nouvel élan pour la prise en charge de la personne dans son intégralité et surtout pour l’accompagner pour son retour à la vie en société.

Merci messieurs pour votre accueil et votre disponibilité, nos lecteurs seront heureux de découvrir ou de redécouvrir la mission du centre Gilbert Raby et ses perspectives de développement au service des patients ; il est si important de les accompagner pour les sortir de situations éprouvantes pour eux et leur entourage.

AG : Merci à vous de nous avoir proposé cette interview. Nous vous donnons rendez-vous pour l’inauguration des nouveaux locaux, en 2022.

 

Propos recueillis par Yves Maretheu et Eric Le Scanff

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