Michel et Joseph Trapletti, champignonnistes

Vous êtes sans doute nombreux, si vous empruntez la route des Carrières qui va de Meulan à Evecquemont, à remarquer dans un virage au-dessus de la clinique de cardiologie, l’entrée d’une carrière. Il s’agit de celle des frères Trapletti, champignonnistes passionnés, qui ont repris l’exploitation de Jacques et Jean Zanetti. Nous avons voulu les connaître et nous faire conter l’histoire de ce lieu un peu mystérieux et la culture du fameux champignon de Paris.

C’est dans le cadre de leur activité que Michel Trapletti a répondu à nos questions et nous a fait découvrir dans les dédales de la carrière les bacs de fructification des champignons, tandis que son frère Joseph s’activait à l’évacuation de ceux qui, après récolte, devaient repartir à la coopérative.

 

Merci tout d’abord M. Trapletti de recevoir les Echos de Meulan d’autant qu’habitant Conflans, vous ne connaissez pas notre journal. Pouvez-vous tout d’abord vous présenter à nos lecteurs ainsi que votre frère et nous dire comment vous êtes arrivés à Evecquemont.

Notre père, Angelo, est né en Italie dans une famille de quinze enfants. A l’âge de 14 ans, il vient en France pour chercher du travail mais il ne connait même pas la langue. A la gare, un inconnu lui tape sur l’épaule « si tu cherches du travail, j’en ai pour toi ». C’est ainsi qu’il arrive aux carrières de Malakoff et apprend la culture des champignons ; il rencontre notre mère qui lui donnera cinq enfants. On habitera Houilles, près de l’arsenal où durant la guerre étaient cantonnés beaucoup d’Allemands avec leurs chevaux procurant un abondant fumier, trésor pour la culture du champignon. Le métier plaisait à notre père Angelo et très vite, il a repris une petite carrière abandonnée à Villiers-Adam puis une autre à Conflans en 1959. Nous étions une quinzaine et produisions quarante tonnes par mois. A la mort de papa, chaque enfant a eu sa part et on a dû vendre le terrain devant la carrière.

Je connaissais les Zinetti qui exploitaient à Evecquemont ; on s’est partagé l’exploitation de la champignonnière : on partageait les livraisons de fumier, l’électricité et si on se donnait des coups de main, c’était chacun pour soi ; du reste, nous ne vendions pas sur place mais à Conflans. Nous avons repris toute la carrière et son exploitation lorsque les Zinetti ont pris leur retraite et maintenant nous exploitons seuls cette carrière d’Evecquemont.

Pouvez-vous nous parler du champignon, de son histoire et de sa culture ?

La culture du champignon remonte au XVIIe siècle dans les jardins de Louis XIV lorsque les jardiniers ont recouvert « les couches », favorisant la naissance des champignons. Avec l’extension de la cavalerie sous Napoléon 1er, le fumier de cheval était si abondant qu’on prit l’habitude de le balancer dans des carrières proches des casernes. Ainsi naquit presqu’involontairement, le « champignon de couche » qui fut appelé le « champignon de Paris »; il était promis à un bel avenir. On ramassait alors tout simplement le mycélium naturel dans les bois et les prés et on les mettait sur le fumier des carrières dont la température et l’hygrométrie favorisaient son développement. Puis vinrent les études scientifiques et le mycélium fut fabriqué en laboratoire grâce au spore 8 du champignon de Paris.

Depuis 1850, existe le « droit de fumier » qui permet de ramasser le fumier devant les maisons. Mais le problème de la nuisance provoquée par les odeurs, d’autant plus fortes qu’il fallait remuer le fumier pour l’aérer, va engendrer de nouvelles méthodes.

Alors, parlez-nous des méthodes actuelles auxquelles vous avez recours pour votre exploitation.

La culture la plus ancienne en carrières se faisait sur des meules en forme de tunnel, puis vers les années 1955, afin d’éviter la propagation des maladies et de gagner de la place, on opta pour des caisses en bois qui, depuis 1990 ont fait place aux caisses métalliques susceptibles d’être empilées. Ce sont ces caisses que nous recevons de la Coopérative d’Ermenonville où le fumier, tout d’abord pasteurisé, est ensemencé de spores (grains de blé) et recouvert de calcaire broyé. Les caisses sont alors placées dans nos galeries où on les humidifie. Le fumier est chauffé par sa propre chaleur que l’on stabilise à 50°, l’ammoniac est éjecté et l’azote se développe ; c’est en quelque sorte une fermentation dirigée. Durant huit jours, la semence remonte à la surface et en s’atrophiant forme le champignon. Au bout de quinze jours, on commence la récolte. Cinquante pour cent se font les dix premiers jours. Au bout de vingt jours, on constate un appauvrissement du compost, même s’il reste la semence ; alors le bac repart à la coopé. Le cueilleur sait quand le champignon est à maturité ; ce n’est pas une question de taille, c’est lorsque se forme un voile entre le chapeau et le pied.

Nous sommes attentifs à la désinfection toutes les semaines.

Tous les champignons proposés à la clientèle dans les petits magasins ou des grandes surfaces proviennent-ils de champignonnières de carrières ?

Non bien entendu, une autre méthode de culture « en maison ou pavillon », innovée par les Hollandais a vu le jour. Cette production, dont le prix de revient est inférieur, est pratiquée à grande échelle en Europe centrale, principalement en Pologne, et a pris une très grande expansion, s’implantant sur les étals des grandes surfaces et même des plus modestes magasins.

Mais il est évident que les champignons de carrières qui poussent lentement dans un environnement qui leur convient parfaitement, ont leur caractère propre, ce goût de terroir irremplaçable, bien différent de celui du champignon élevé industriellement. Pour que le client s’y retrouve, nous mettons sur chacun de nos cageots une étiquette « Saveur de chez nous ».

Parlez-nous de la commercialisation de vos produits.

Il y a quinze ans il y avait trois cents exploitations qui produisaient deux cent quarante mille tonnes, aujourd’hui il n’y en a plus que soixante pour un tonnage de cent vingt mille.

Quant à nous, nous pratiquons la vente directe des champignons de Paris mais aussi de forestiers, sur les marchés de Houilles et Colombes centre ainsi que sur les marchés de La Garenne-Colombes et Conflans ; c’est ma femme qui les assure. Nous fournissons aussi des fruiteries et avons un contrat avec Leclerc. Depuis l’arrêt des frères Zanetti, nous vendons au détail champignons de Paris, pleurotes et lentins le vendredi après-midi à la carrière d’Evecquemont. Si notre production est très abondante, nous l’écoulons à Rungis.

Pouvez-vous nous parler de ces carrières nombreuses dans notre région et de la vôtre en particulier ?

Les carrières de Conflans-Sainte-Honorine ont une grande réputation ; c’est là que furent extraites les pierres de taille qui servirent à la construction de nombreux édifices parisiens qui ont bénéficié  du fameux « banc royal » dont la granulométrie est très fine et permet la pose de la pierre dans n’importe quel sens.

Généralement le  banc royal est entre 1,80 et 2 mètres mais en Ile-de-France il ne dépasse pas un mètre, souvent beaucoup moins. La pierre de Conflans a été choisie principalement pour les colonnes et les statues comme celles du château de Versailles, du ministère de la Marine

(place de la Concorde), des églises de La Madeleine et Saint Sulpice et pour bien d’autres constructions. Aujourd’hui, les extractions sont réservées à la restauration des édifices anciens, toujours faites au pic et à la lance.

Toute autre est la carrière d’Evecquemont comme celle de Vaux-sur-Seine ; on y extrayait le gypse pour faire le plâtre et la chaux et le travail se faisait à l’explosif. Les frères Zinetti ont repris la carrière vers les années 1945, lorsqu’a cessé l’exploitation du gypse. C’est l’exemple d’une mutation réussie car on sait les problèmes que soulève l’inexploitation d’une carrière nécessitant la construction de piliers pour pallier tout effondrement ou le comblement, par une cheminée, de matériaux inertes contrôlés par le service des carrières.

 Un grand merci, messieurs de nous avoir accordé cette entrevue et ouvert votre carrière où nous avons découvert, d’un couloir à un autre, les étapes de la naissance à la cueillette de ces fameux« champignons de Paris  à la saveur de chez nous ».

 

(Propos recueillis par Ghislaine Denisot)

 

 

                                  

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *