Euthanasie – Soins palliatifs : quelques éléments de réflexion

« Comment mourir ? Nous vivons dans un monde que la question effraie et qui s’en détourne. Des civilisations avant nous regardaient la mort en face »,  voilà comment commence le roman de Marie de Hennezel, La mort intime », Pocket 1997.

Dans le contexte actuel, la question de la mort se pose de façon parfois bien angoissante. À cette question, s’adjoint celle de l’euthanasie. Partisans et opposants à l’euthanasie à l’euthanasie s’opposent souvent sur le « droit de mourir » en s’appuyant sur les valeurs d’autonomie et de dignité ; pourtant ils ont en commun trois visées majeures : un rejet de l’acharnement thérapeutique, la lutte contre la souffrance du patient et un souhait de le faire « vivre sa mort en sujet », comme l’écrivait Marie de Hennezel. En France, le débat est intense  et le gouvernement est en passe de légaliser cette pratique qui existe déjà sous des modalités diverses en Suisse et en Belgique. J’ai souhaité noter ici quelques réflexions pour que le lecteur entende aussi des points de vue qui ne sont pas forcément les siens.

Certains revendiquent le droit de mourir dans la dignité ; mais toute personne humaine est intrinsèquement digne ; quels que soient son âge, sa couleur de peau, sa condition sociale, son apparence, ses convictions, son état de santé moral ou physique, son niveau de rentabilité, la dignité de chacun est sacrée, inviolable et inconditionnelle.

Certains disent « ma vie m’appartient, je la gère comme je veux ; de même, je veux gérer et choisir ma mort ». C’est oublier peut-être que tous nos choix personnels ont une portée collective. Se tenir face à la mort et vouloir la hâter est un exercice rare et solitaire revendiqué par quelques personnes déterminées mais qui pèserait sur les plus faibles comme les personnes isolées, âgées, handicapées… C’est particulièrement vrai dans notre société, qui valorise la performance et peut donner, à une part notable de sa population, le sentiment d’être un poids.

Demander la mort n’est pas toujours vouloir mourir. Peu de patients disent vouloir mourir et bien moins encore le redisent quand ils sont correctement soulagés et accompagnés ; vouloir mourir signifie presque toujours ne pas vouloir vivre dans des conditions aussi difficiles. Et demander la mort parce qu’on souffre, est-ce vraiment un choix libre ? Les soins palliatifs permettent de restaurer la liberté du patient en fin de vie en prenant en charge sa douleur comme sa souffrance psychique. De façon ultime, la loi française permet au patient de demander l’arrêt des traitements de maintien en vie pour que soit mise en place la sédation dite profonde et continue jusqu’au décès quand il est en fin de vie et qu’il juge ses souffrances insupportables. « Le temps et le dialogue ont permis de rapprocher les points de vue et de parvenir à un accord qui constitue aujourd’hui un progrès majeur en faveur du respect des droits et de la dignité de la personne humaine jusqu’à sa mort », disait alors le président Hollande, tout en ajoutant : « Ce texte n’ouvre pas un droit à la mort, à l’euthanasie ou au suicide assisté ».

La fin de la vie reste la vie. Nul ne peut savoir ce que nos derniers jours nous réservent. Même dans ces moments difficiles, on a pu entendre des patients vivre des moments essentiels, jusqu’à découvrir pour certains que la bonté existe. Accélérer la mort, ce peut être aussi nous priver de ces ultimes et imprévisibles moments d’humanité. Ainsi, la forte baisse des cas d’euthanasie aux Pays-Bas entre 2001 et 2005 est attribuée par la majorité des médecins à l’amélioration des soins palliatifs.

Nous vivons dans une société du culte du Beau, de la Jeunesse, de la Réussite…où la maladie, la faiblesse, le vieillissement, le handicap cadrent mal avec les exigences hospitalières suivantes : coût des soins, durée moyenne de séjour, rentabilité des actes de soins par services ; la légalisation de l’euthanasie ne risque-t-elle pas des dérapages en réponse à des intérêts purement économiques : en voici quelques paramètres :

  • pressions financières sur le malade à cause du coût élevé des soins pour les proches ;
  • pressions financières pour les plus pauvres, qui risquent de « préférer » mourir rapidement ;
  • intérêt financier de l’établissement hospitalier : une personne très malade coûte cher (pathologies multiples, soins lourds), l’accélération de l’inéluctable allège donc ses charges ; par exemple, durant l’été 2012, une proposition de loi a été déposée au Royaume-Uni pour autoriser le suicide assisté des personnes âgées dès lors que l’on estimerait qu’elles ont atteint la dernière année de leur vie, au motif que plus de la moitié des dépenses de santé sont destinées à des patients mourant dans l’année à venir…
  • pressions morales de la part des proches ou de la société : quelle est la liberté réelle de celui qui se sent « de trop » ? ;
  • difficulté de changer d’avis à partir d’un certain point(inconscience) ;
  • interférence fréquente entre les notions de souffrance du patient et de souffrance de l’entourage.

Certes, on n’oblige personne à choisir l’euthanasie, mais on oblige tous les patients à l’envisager : « est-ce que ça ne serait pas mieux pour toi, pour tes proches ? » …La réponse à des demandes devient une offre, une possibilité à laquelle il n’avait pas pensé.

Donner la mort à quelqu’un pour que cessent ses souffrances peut sembler un acte humaniste. Pourtant il peut être bien difficile, une fois la porte refermée, après que la piqûre létale a été effectuée, de vivre le cœur vraiment libéré. L’amertume peut être encore avivée par les explications à fournir aux enfants… Légaliser l’euthanasie, c’est faire penser à de nombreux malades ou à leurs proches que la vie n’ayant a priori plus de sens, il faut et on peut, puisque c’est légalement possible, y mettre un terme définitif ; en outre, une partie des médecins estime que les soins palliatifs, les progrès en matière de traitement de la douleur et de la souffrance rendent l’euthanasie inutile.

Partisans et opposants à l’euthanasie sont bien conscients du caractère intolérable de certaines douleurs physiques et morales. Ce sont seulement leurs réponses qui diffèrent.

Alors, mon point de vue est le suivant :

  • continuons à progresser dans le domaine médical pour soulager ces souffrances ;
  • continuons à développer les unités de soins palliatifs même si ce choix est plus coûteux pour le gouvernement et à les rendre accessibles à tous ;
  • ayons à cœur de respecter vraiment les personnes souffrantes, en leur rendant visite, en les écoutant, en leur manifestant par notre tendresse qu’elles ont du prix à nos yeux ; bien sûr, les précautions sanitaires doivent être respectées, mais je ne peux m’empêcher de penser à toutes ces personnes qui, à une époque récente, sont mortes seules, sans que leurs proches ne puissent leur dire juste « je t’aime ».

Cet article ne prétend pas du tout répondre à la grande problématique de l’euthanasie ; avec beaucoup d’humilité, il voudrait juste faire entrevoir et aussi partager une vision différente : vouloir, jusqu’à la mort, accompagner la vie.

« L’être humain ne se réduit pas à ce que nous voyons ou croyons voir. Il est toujours infiniment plus grand, plus profond que nos jugements étroits ne peuvent le dire. Il n’a, enfin, jamais dit son dernier mot, toujours en devenir, en puissance de s’accomplir, capable de se transformer à travers les crises et les épreuves de sa vie. » (Marie de Hennezel, auteure de nombreux ouvrages dont la Mort intime, et promotrice des soins palliatifs en France.)

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