La marche, toujours d’actualité

Le petit homme vient de mettre un pied devant l’autre, puis deux puis trois : « ça y est, il marche ! » La nouvelle va bientôt faire le tour de la famille, tant l’événement est d’importance. On ne peut que penser à tous ces parents qui ne connaissent pas ce bonheur, à ces jeunes cloués sur un lit ou un fauteuil roulant qui grandiront sans espoir d’autonomie même si la science tente de leur en donner une parcelle. Nous l’admettons mieux quand il s’agit d’un vieillard, pourtant il y a de la détresse lorsqu’il dit « mes jambes ne me portent plus » car c’est son indépendance qui en découle.

Le mot « marche » vient du francique, la langue des anciens Francs. Nous n’évoquerons pas les multiples sens de ce mot qui permettent aux verbicrucistes de tendre leurs pièges ! Notons au passage qu’au temps des Carolingiens, « les marches » étaient les territoires proches des frontières qui servaient de protection à l’Empire ; « marquis ou margraves » en assuraient l’administration.

La marche santé : le corps médical, relayé par les média, ne cesse de le répéter : nous ne marchons pas assez ! En effet, pourquoi se déplacer quand le monde extérieur vient à nous via Internet, la télévision, le téléphone ? Nous économisons nos pas, préférant trop souvent notre voiture ou un bon fauteuil à la marche. Heureusement, cette dernière reprend ses droits dans les clubs ou associations de marcheurs et il y en a pour tous les goûts : sportifs ou pantouflards y trouvent « chaussures à leurs pieds », pourrait-on dire. Les adeptes se retrouvent généralement une fois par semaine, avec ou sans « bâtons », pour une randonnée où la convivialité le dispute à la beauté des sites parcourus.

La marche de foi est d’un tout autre ordre. Ce peut être un temps de solitude pour se retrouver ou prier, mais c’est aussi « le pèlerinage », démarche de confiance en l’intercession, pour les chrétiens, du Christ, de la Vierge ou des saints. En cette année de la foi qui s’est achevée en décembre, prenons le chemin de Rocamadour qui célèbre son jubilé : mille ans de pèlerinages ! Saint Louis y est venu en 1244. Le site est exceptionnel et le sanctuaire accroché à la falaise se mérite ; il faut en effet gravir deux cent seize marches pour rencontrer la fameuse Vierge noire aux yeux clos, portant l’enfant sur ses genoux. Si 97 % des visiteurs sont des touristes, au fil de la visite beaucoup se font pèlerins… c’est le mystère de tous ces lieux de pèlerinage ! Notons parmi tant d’autres, le pèlerinage marial des étudiants qui, chaque année, vont de Paris à Chartres par divers chemins pour honorer la Vierge mère.

La marche d’opinion ou de protestation : elle rassemble ceux qui veulent faire reconnaître leurs droits, comme celles organisées par les syndicats, ou défendre des valeurs auxquelles ils tiennent fortement. C’est une expression de la démocratie. Ces rassemblements sont évalués à l’aune des estimations, celles de la police et celles des organisateurs, souvent assez différentes !

Certaines de ces marches ont marqué un tournant dans notre société et nous venons d’en commémorer deux.

Il y a trente ans, du 15 octobre au 3 décembre 1983 : « la marche des Beurs » militait pour l’égalité et contre le racisme. Partie de Marseille, la trentaine de participants s’était grossie au fil de la route, pour atteindre les cent mille à l’arrivée à Paris. Il s’agissait de démontrer que les communautés d’origines différentes peuvent vivre en paix et promouvoir l’égalité des droits et des chances. Ce message était soutenu par le Père Christian Delorme (¹) surnommé « le curé des Minguettes » (quartier de Lyon). Aujourd’hui, le film de Jamel Debbouze, acteur engagé, retrace cette épopée trentenaire (²).

Il y a cinquante ans, le 28 août 1963, toujours dans le même esprit, c’était « La marche de Washington », manifestation non violente, qui rassemblait plus de 250 000 personnes devant le « Lincoln Mémorial ». Le pasteur Martin Luther King, un des leaders de la lutte pour les droits civiques y prononçait son célèbre « I have a dream » (j’ai fait un rêve), resté dans la mémoire collective. Cette marche aboutira à la « Civil Right Act » rendant illégale la ségrégation ; les Etats-Unis entraient dans une ère nouvelle et en 1964 Martin Luther recevait le prix Nobel de la Paix, mais cela ne lui évitera pas d’être assassiné quatre ans plus tard !

A notre tour « faisons un rêve » : que la diversité soit vécue non comme une source de division, mais comme une richesse que le Créateur nous a laissé à partager.

 

(1) Il vient de publier chez Bayard « La marche » qu’il situe dans le contexte historique de l’immigration maghrébine en France et ses conséquences.

(2) La Marche, film de Jamel Debbouze est sorti en salle le 27 novembre dernier.

 

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