L’attention … L’écran entre moi et les autres

J’attendais un bus. Mon regard se porte sur une jeune maman qui parlait fort au téléphone. Elle tirait un enfant d’environ trois ans qui marchait difficilement. Son pantalon était tombé en bas de ses petites jambes. Au bout de quelques minutes qui me parurent longues, je me dirigeais vers la maman. Lui tapant doucement sur l’épaule, j’attire son attention sur son enfant qui avance en slip. Du coup, elle arrête son portable et réajuste en une fraction de seconde le pantalon. Un geste qui redonne de l’aisance et de la dignité à ce bambin. Ils sont repartis sans un merci et sans prêter attention à ma présence.

Il me semble de plus en plus que notre maladie est l’inattention. Dans la rue, dans les magasins, dans les transports, chacun est rivé sur son téléphone et nous nous croisons sans plus lever les yeux vers les autres. Et même en famille, il m’arrive d’être à table, avec les enfants qui sont ailleurs, dans le canapé d’à côté, branchés ou connectés. Je repars sans qu’on se soit échangé quelques mots !

Il y a quelque temps, nous disions adieu à Jacques Chirac. Parmi tous les discours et commentaires, on retient quelques témoignages de paysans corréziens. Des personnes de la terre parlaient de son attention et de sa simplicité. Il était proche et ne manquait pas de faire un geste ou d’intervenir après avoir écouté telle ou telle situation de détresse. Et ces mêmes témoins ajoutaient: « Oh, c’était pas comme maintenant. On était moins pressé et moins connecté. On prenait le temps de discuter autour d’une table ». Une façon de dire que l’attention dépend de chacun. Aujourd’hui, les selfies avec un président disent une préoccupation de soi, comme l’indique le mot anglais « self », au détriment d’un regard vers l’autre et d’un silence pour écouter !

Je peux donc je veux.

On vote de nouvelles lois de bioéthique. Que signifie « éthique » ? Un comportement éthique se soucie du bien de l’autre. En médecine, on parle du soin, du « care », de l’attention à la personne fragilisée par une maladie. Or voilà que science, technologie et marché donnent le rythme et l’éthique n’est admise que pour valider cette course. Dans cette marche folle, il s’agit de se réjouir quand nos désirs personnels et immédiats sont possibles grâce aux progrès qui suppriment limites et obstacles. Une femme seule veut-elle un enfant ? Pourquoi s’en priver puisque c’est possible ? Et le père ? Pourquoi ferais-je attention au rôle du père puisque la loi, au lieu de me dire ce qui est souhaitable et bon pour le vivre ensemble, sacralise avec la technique mon souhait de me passer de toutes contraintes ?

Dans ce contexte, les voix les plus autorisées ressemblent à des voix qui crient dans le désert. L’Académie de médecine, les pédopsychiatres, des philosophes de tous bord comme François Xavier Bellamy ou Sylviane Agacinski s’alarment et nous alarment sur cette rupture anthropologique majeure qu’est la conception délibérée d’un enfant privé de père. Toutes les auditions de spécialistes dans l’accompagnement des familles et des jeunes ayant connu l’abandon du père convergent vers le même avertissement : l’absence du père constitue toujours un traumatisme sinon un drame dans une vie.

L’homme ou la machine ?

« Deux milliards d’hommes n’entendent plus que le robot, ne comprennent plus que le robot, se font robots » disait Saint Exupéry avec des accents prophétiques, en ajoutant: « Je hais mon époque de toutes mes forces. L’homme y meurt de soif ».

Nous voulons pouvoir engendrer seuls, sans avoir besoin d’un autre. La technique en nous donnant ce pouvoir nous fait passer de la procréation à la fabrication. Nous quittons l’image de Dieu qui crée dans un acte d’amour pour prétendre fabriquer un enfant selon notre désir. Nous quittons l’image de deux êtres complémentaires qui conjuguent leur désir et leurs limites respectives pour donner la vie, non à un être rêvé, mais à un être libre dont nous ne sommes pas maîtres. Nous faisons ce pas au moment où nous voyons les conséquences désastreuses de nos appétits insatiables sur notre planète. La technique qui veut abolir les contraintes et faire plier la nature à nos caprices et nos égoïsmes finit par détruire la réalité elle-même. La leçon de choses que nous avons sous les yeux ne nous arrête pas dans cette fuite en avant vers la toute puissance sur les choses et les êtres. Que faut-il dire aux hommes d’aujourd’hui ? Les mots de Saint Exupéry : « On ne peut plus vivre de frigidaires, de politique, de bilans, de mots croisés, voyez-vous ! On ne peut plus. On ne peut plus vivre sans poésie, couleur ni amour ». Soyons attentifs à sa réflexion en guise de conclusion : « Il n’y a qu’un problème, un seul : redécouvrir qu’il est une vie de l’esprit plus haute encore que la vie de l’intelligence, la seule qui satisfasse l’homme. Et la vie de l’esprit commence là où un être « un » est conçu au dessus des matériaux qui le composent ».

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