Laurent Séguier

créateur de la société RECORD CLINIC dont l’activité est le nettoyage, l’entretien, la numérisation et la restauration sonore des disques Vinyles, des 78 tours, des acétates(1), des cassettes, des bandes magnétiques et des CDs.

 

Avant d’aller à la rencontre de Laurent Séguier qui a installé son laboratoire dans la zone artisanale de la Maraiche à Tessancourt, nous vous devons une explication : pourquoi interviewer un professionnel qui exerce une activité commerciale ? C’est tout simplement que Laurent Séguier est le seul en France, voire probablement en Europe à proposer ces prestations de nettoyage de support sonore et nous avons la chance qu’il soit implanté sur notre secteur. Il nous a donc semblé important de vous le présenter et de vous faire découvrir ses activités.

 

Bonjour Laurent Séguier, merci de nous accueillir dans votre laboratoire et de nous consacrer du temps. Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Installé à Meulan depuis 2002 avec mon épouse et mes enfants, j’ai tout d’abord été durant une trentaine d’années cadre dans une grande banque, à la Défense. Avec un bac en électronique, j’étais spécialisé sur le déploiement de la micro-informatique au sein de l’entreprise puis j’ai exercé dans cette banque des activités d’achats de produits technologiques, les matériels informatiques. Puis, nous avons été délocalisés dans l’Est parisien et je me suis trouvé confronté à plus de trois heures de transport par jour. Fatigué d’une part du fonctionnement des grandes entreprises et d’autre part de la longueur des déplacements, je décide il y a quatre à cinq ans de changer de vie.

Pourquoi vous orientez-vous vers le nettoyage des supports sonores ?

C’est une suite de circonstances ; je découvre tout d’abord une annonce de vente d’un gros stock de disques : cinq mille 33 tours et dix mille 45 tours environ. J’ai toujours aimé la musique ; j’ai fait partie d’un orchestre en tant que guitariste. Je ne suis pas très bon musicien mais, depuis l’âge de 12-13 ans, j’achète des disques et j’aime les écouter. Je me décide à acheter ce stock ce qui aurait pu m’orienter vers le métier de disquaire. Mais je constate rapidement que ces disques ne sont pas tous en très bon état, en particulier ceux des années 50. Je veux donc les raviver et me documente auprès des grandes bibliothèques et sur Internet pour trouver des solutions. Rien de satisfaisant, pas de machine efficace pour nettoyer les disques et surtout personne n’est d’accord sur les bonnes pratiques. Je recherche et je teste une méthodologie de nettoyage en fabriquant des prototypes dans mon sous-sol. Cela me prendra quatre à cinq ans mais j’obtiens maintenant d’excellents résultats.

J’ai donc décidé de commercialiser ma solution en tant que service, les investissements étant conséquents. Avec l’aide de BGE Yvelines, cabinet de conseil qui appuie les entrepreneurs, mon projet est retenu au niveau national pour représenter les Yvelines et j’obtiens facilement le financement pour créer mon activité professionnelle que j’appelle RECORD CLINIC. Le problème c’est que je démarre trois jours avant la date du premier confinement. Vous imaginez les difficultés que je rencontre dès le début ! Les disquaires sont fermés, pas de convention de disques d’occasion où je peux me faire connaître.

Je trouve alors un emploi au sein d’un studio spécialisé en restauration sonore où j’ai appris ce métier avec une des maitres français dans ce domaine pendant un an et demi à Paris. Je poursuis maintenant mes recherches et j’élargis à tous les supports sonores : les 78 tours, les acétates, la bande magnétique, la cassette, le CD, le but étant la préservation du patrimoine sonore analogique.

 

Compte-tenu de ce contexte très particulier, comment avez-vous pu développer votre activité ?

A ma grande surprise, je découvre que le nettoyage n’est pas une préoccupation ; il faut que je démontre que ces opérations de nettoyage permettent d’obtenir une qualité d’écoute exceptionnelle mais également qu’elles sont indispensables à la conservation surtout quand le support est attaqué par des moisissures, déformé par la chaleur ou dégradé par la poussière ; sachez qu’un sillon de disque vinyle mesure 50 microns de largeur en haut et 6 microns en bas ; c’est donc du nettoyage de haute précision. J’emploie souvent cette formule pour convaincre : laisser ses disques en l’état, c’est comme manger dans un grand restaurant dans une assiette sale.

Je contacte donc les personnes ou les groupes les plus concernés que sont la Bibliothèque nationale, les grandes radios, les médiathèques, les disquaires qui stockent des milliers de disques et enfin les collectionneurs et les particuliers.

Le cœur de votre activité, c’est le nettoyage du Vinyle ; sans trahir vos secrets, pouvez-vous nous présenter votre méthodologie et le matériel que vous avez créés ?

Oui, je peux vous décrire sans entrer trop dans les détails techniques le processus et la machine semi-automatique que j’ai créés pour obtenir des nettoyages de très grande qualité des Vinyles.

Tout d’abord il faut savoir que pour nettoyer les disques, le plus répandu c’est le chiffon ou la brosse de différents types qui enlèvent la poussière en surface mais ne nettoient pas le fond du sillon. Ce n’est donc pas satisfaisant. Je suis parti sur une autre approche sans brossage et sans alcool en n’utilisant que des fluides non agressifs.

La première phase, c’est de dépoussiérer avec de l’eau purifiée et filtrée (sans calcaire) sur le Vinyle. La deuxième étape consiste à faire un prélavage avec un détergent non agressif pour dégraisser et préparer la troisième étape : le nettoyage par ultrason avec plusieurs fréquences. Le phénomène s’appelle la cavitation : les microbulles implosent au contact de la poussière. Ce procédé de nettoyage est utilisé en bijouterie et joaillerie. Puis intervient un rinçage ou deux suivant l’état initial du disque, à l’eau tiède. La phase finale est le séchage par aspiration avec un petit robot que j’ai breveté.

Tout ce processus a demandé beaucoup de temps de recherches et de mise au point afin d’obtenir un résultat de qualité audiophile. Pour traiter plusieurs Vinyles à la fois, j’ai dû créer des pièces que je place entre chaque disque : elles permettent l’écartement nécessaire à un bon nettoyage et protègent l’étiquette du disque.

On comprend mieux pourquoi vous avez mis du temps à établir et à valider ce processus, mais vous devez être satisfait des résultats ?

Oui au-delà de toutes mes attentes le plus beau cadeau que l’on me fait, c’est lorsque la personne qui m’a confié un ou plusieurs disques me dit : « j’ai l’impression d’entendre mon disque pour la première fois ». J’ai en tête cette réaction d’un collectionneur qui avait un vieil enregistrement de Johnny Hallyday ; pour lui, il a désormais le sentiment d’avoir une pièce unique. En effet, non seulement le son est parfait, mais en plus l’auditeur entend des détails, instruments ou effets sonores qui étaient inaudibles avant nettoyage. J’ai déjà fait l’expérience sur un disque neuf et les résultats sont probants. Il faut d’ailleurs savoir que la musique classique est beaucoup plus exigeante ; le nettoyage en profondeur apporte beaucoup pour ce type de musique.

Par ailleurs, beaucoup réalisent que la qualité du matériel d’écoute est certes importante mais que la propreté du support l’est davantage. Mettre très cher dans du matériel ne sert à rien si le support n’est pas à son optimum. Personnellement, je réécoute mes disques avec bonheur tant ils révèlent des sonorités jusque-là inaudibles. L’expression qui revient quasi tout le temps c’est que les résultats sont bluffants.

 

On constate depuis quelques années un nouvel engouement pour le Vinyle. Comment expliquez-vous le phénomène ?

Oui le Vinyle revient depuis une dizaine d’années. Il faut se souvenir que fin 1990, des offres illégales de téléchargement de musique en format MP3 tuent la vente des médias physiques. Puis en 2005, les offres streaming (sans support) provoquent des surconsommations de musiques. Mais durant tout ce temps, il y a toujours eu des passionnés du Vinyle, des collectionneurs et progressivement, on redécouvre une autre manière de consommer de la musique, l’importance du bel objet, du graphisme de la pochette (Artwork), le rituel lié à l’utilisation du disque : on s’assied, on se pose et on écoute un disque. Avec le retour du « vintage », il y a aussi la chasse aux trésors dans les brocantes, chez les disquaires, dans les fonds d’archives.

A propos de fonds d’archives, vous avez élargi vos compétences à la restauration de tous les supports médias ; cela vous ouvre des champs immenses de restauration. Avez-vous des projets dans ces domaines ?

Oui, sans vouloir passer à de l’industriel, mon outil permet de traiter d’importants volumes tout en maintenant un haut niveau de qualité. Je prévois actuellement une adaptation pour traiter les 78 tours en quantité. Je voudrais pouvoir proposer mes services à la BNF (Bibliothèque Nationale de France) pour le nettoyage des bandes magnétiques qui souffrent de moisissures et traiter les dégradations chimiques ou thermiques des médias en vue d’une préservation dans leurs fonds documentaires. Je veux également développer mes services en me tournant encore davantage vers les fonds de médiathèques. Pour moi, toutes ces activités contribuent à préserver le patrimoine sonore car après une préservation, je peux numériser et effectuer une restauration numérique, assurant ainsi la pérennité des œuvres avec toutes leurs qualités sonores.

En effet les projets ne manquent pas, nous vous remercions pour votre disponibilité, nous avons été ravis de faire votre connaissance et de vous présenter à nos lecteurs qui découvriront une activité quasiment unique en France et en Europe, étant l’inventeur de la seule machine semi-automatique de nettoyage des 78 tours et des Vinyles. Nous vous souhaitons, pour le plus grand bonheur des amateurs de disques et pour la conservation de tous les patrimoines sonores, de développer et de réaliser vos projets.

(Propos recueillis par Yves Maretheu)

(1) Disques à gravure directe

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