Le désert

En ce temps du Carême, la liturgie nous invite à demeurer spirituellement au désert avec le Christ. Il est certain que, dans la Bible, le désert est très présent et même dès le début avec le récit de la Genèse. En effet, il nous est dit que, en son commencement, « la terre était déserte et vide » (Gn 1,2). N’imaginons pas pour autant être au Sahara et l’auteur biblique veut simplement nous dire que la terre n’a pas encore de forme et qu’elle est vide, et c’est ce qu’expriment les mots de “ tohu ” et de “ bohu ”. Nous sommes ici dans ce temps où la Parole de Dieu n’a pas encore opéré son œuvre de distinction, ce désert-là est un lieu sans paroles. Par contre, le mot hébreu qui exprime cet endroit particulier où toute une génération va vivre, au sortir de l’Egypte, est de la même famille qu’un autre mot qui signifie la parole. Et au désert, ça parle ! A peine libéré de l’esclavage, après seulement trois jours de marche, le peuple guidé par Moïse va commencer à ressentir la soif et se mettre à murmurer contre lui (Ex 15,24).

Le murmure n’est pas une parole, il est une sorte de monologue qui n’ose pas s’affronter directement à un interlocuteur, mais qui est cependant proféré assez haut pour être entendu. Moïse en est la victime, comme si les hommes n’osaient pas s’attaquer directement à Celui qui les a fait sortir du pays d’esclavage. Moïse va alors s’adresser à Dieu dans un cri qui traduit bien son impuissance et son appel sera entendu puisque Dieu va donner à boire à son peuple. Les murmures reprendront un peu plus tard au sujet de la faim et le Seigneur fera alors le don de la nourriture. Au désert, Dieu se comporte comme un père ou comme une mère qui, entendant les pleurs de son enfant, comprend la demande qui est faite et qui y répond en apportant la nourriture nécessaire. En même temps, une vraie parole est dite qui va contribuer à faire grandir Israël, qui va l’aider à apprendre à parler, car le désert est aussi un lieu d’éducation ; il est également un terrain où l’homme va pouvoir faire l’apprentissage de sa vie d’homme. Au départ, il s’agit de naître, de sortir d’un pays comme l’enfant sort du ventre de sa mère. Puis il y aura à apprendre à marcher, à écouter, à parler, à s’instruire pour être capable ensuite de prendre en charge sa vie, de se comporter en adulte responsable.

Le chemin du désert n’est pas le plus court ni le plus facile, celui que l’être humain serait peut-être tenté de choisir, pour accéder à sa maturité. Au contraire, il est fait d’étapes qui se succèdent et qui sont toutes nécessaires. Souvent l’homme sera tenté de rejoindre l’Egypte, comme s’il voulait retourner dans le sein maternel, mais la Parole de Dieu viendra lui interdire cette régression. Devant les pièges ou les dangers qui peuplent le désert, l’homme hésitera plus d’une fois à s’engager davantage et il lui arrivera même de préférer mourir plutôt que d’avancer.

En regardant ces gens qui suivent Moïse, leur guide, on ne peut pas s’empêcher de penser à ce passage difficile qu’est l’adolescence. Partagé entre le monde de l’enfance qu’il doit quitter et ce monde des adultes qu’il aperçoit, l’adolescent a parfois l’impression de n’être rien, de ne plus savoir où il en est, de percevoir son entourage comme un ennemi qui viendrait le harceler. L’angoisse qui le tenaille lui fait expérimenter le silence, la non-réponse du monde face à sa solitude. En même temps, les adultes – et Moïse fait figure d’adulte auprès de ses congénères – sont ressentis comme des gêneurs, des obstacles censés entraver la liberté : sans eux tout paraît possible. Bien sûr, en grandissant, ils comprendront que les avertissements, les sanctions même, qui leur étaient prodigués étaient bien davantage que des interdits castrateurs, qu’ils étaient des signaux, comme ceux que l’on rencontre sur les routes et qui nous informent de la proximité d’un danger. Mais du désert, on en sort ! Un jour une nouvelle terre apparaît qui invite l’homme à y naître de nouveau, à y célébrer l’alliance qu’il fera avec d’autres pour pouvoir vivre en société, ou avec le Tout-Autre en qui il reconnaîtra un Père, car il sera véritablement devenu un fils.

Au désert, Jésus est passé, poussé par l’Esprit au début de son ministère. L’épreuve lui a été proposée et il en est sorti vainqueur. Il y a rencontré trois grands démons qui se nomment l’AVOIR, le SAVOIR et le POUVOIR. Au premier, il a opposé sa pauvreté, au second son obéissance et au troisième son humilité. Devant les propositions du tentateur, il n’a pas essayé de s’approprier quoique ce soit, mais il a préféré entendre les Paroles du Père qui parlaient à son cœur et qui lui disaient que tout lui avait été remis par le Père. Au désert, Jésus y est retourné parfois pour y prier, pour y parler avec Celui qui l’avait envoyé vers les hommes pour qu’il devienne leur nouveau chemin, leur nourriture donnée, leur promesse réalisée, la nouvelle terre où ils pourraient demeurer.

P. Patrick Fournier

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