Les mystiques

Le magazine Le Point a consacré son numéro spécial de janvier-février 2012 aux grands mystiques et présenté quelques-uns de leurs textes fondamentaux. Que penser de ces figures hors du commun ? Que révèlent-ils à travers leurs vies et leurs écrits ? Qu’est-ce qu’un mystique ?

C’est souvent à partir de manifestations étranges que les mystiques nous sont connus. Proche de nous, Padre Pio (1887-1968), moine capucin italien, présentait les cinq stigmates de la passion du Christ, plaies qui saignaient régulièrement. Jean de la Croix et Thérèse d’Avila, religieux espagnols réformateurs du Carmel, au XVIe siècle, ont expérimenté la lévitation (absence de pesanteur du corps), la bilocation (présence simultanée en deux lieux distants) et après leur mort, l’incorruption du corps. En France, Marthe Robin (1902-1981), autre stigmatisée, a vécu pendant cinquante ans, aux dires de ses proches, sans autre alimentation que l’hostie quotidienne. Beaucoup de mystiques ont déployé une activité exceptionnelle, parfois sans jouir d’une bonne santé.

Nos esprits, toujours à l’affut du merveilleux, peuvent penser que ces manifestations extraordinaires, dont l’énumération serait longue, est la marque des mystiques. Mais leurs proches disent qu’ils ne recherchaient pas ces phénomènes, qu’ils en étaient gênés, sinon humiliés. Sauf en cas d’utilité, pour un service spécifique, ils essayaient d’en contrôler la manifestation, sans pouvoir y arriver toujours.

Poètes, compositeurs, inventeurs, artistes, etc. ont aussi montré d’exceptionnelles facultés. Que sont donc les mystiques, quelle est leur singularité ? On les reconnaît à la force et la spécificité d’une expérience intérieure hors du commun, où se manifestent des potentialités sublimes de la vie et de la conscience. Ils ont un désir d’atteindre l’Absolu, le Réel, le Vrai, le Bien suprême, l’Infini, l’Éternel, l’Amour parfait. La plupart des mystiques disent qu’ils rencontrent Dieu. Pas tous, certains sont non-croyants. Le mysticisme n’est pas la marque d’une religion particulière, mais le christianisme en est un riche foyer. Il n’est pas une spéculation sur la nature de l’homme ou du divin, ni un système théologique ; il n’existerait pas sans l’expérience transcendante des mystiques, ces hommes et ces femmes qui nous intriguent et nous fascinent.

Il y a sans doute eu des mystiques à toutes les époques de l’histoire. Avant Jésus, le mystique par excellence, on trouve les grandes figures de la Bible : Moïse, le roi David, le prophète Jérémie, etc. Mais également, dans le monde grec, Platon et bien plus tard, au IIIe siècle, le philosophe Plotin qui sut, le premier, faire de ses expériences mystiques un récit vivant et accessible.

Pour autant, est-il possible de rendre compte avec exactitude d’une expérience transcendante ? Certains mystiques ont essayé, au moyen de symboles et d’allégories, de faire comprendre qu’ils font l’expérience de l’unité avec Dieu. Non pas simplement au sens moral de soumission ou au sens intellectuel de compréhension des lois cosmiques, mais bien au sens de la vie et de l’être, au sens d’une fusion (telle la goutte d’eau dans l’océan), sans perte de la conscience du Soi. En réalisant cette unité avec le divin, le mystique découvre tout à la fois l’autre partie de lui-même et l’autre partie du Réel, ce qu’on appelle la réalité spirituelle, invisible à la conscience quotidienne. Pour autant qu’on puisse comprendre, cette conscience unitive rend manifeste l’interdépendance de tous les êtres et de tout ce qui existe. Les mystiques la symbolisent par l’union des époux, ou la décrivent allégoriquement comme un sentiment océanique de fusion avec l’Infini.

Ni anges, ni surhommes, les mystiques ne sont pas des gens bizarres ou hystériques. Humains parmi d’autres humains, ils ont trouvé la voie vers une vie infiniment plus puissante. Pétris de la même argile, nous pouvons légitimement penser qu’ils sont simplement nos frères aînés sur la voie de l’évolution et nous montrent le chemin sublime de notre avenir spirituel.

Comment devient-on mystique ? Ce sera le thème d’un prochain article.

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