Propos sur le Diable

 Le diable est une représentation du mal. La tradition chrétienne, à travers l’enseignement religieux et l’art sacré, a personnifié le diable, dans une certaine confusion avec le démon et Satan. Pourtant on aimerait croire que les auteurs inspirés des textes bibliques ont voulu, en choisissant ce mot, orienter notre recherche dans une direction bien précise. Le mal a-t-il une dimension structurelle, ontologique, en plus de son caractère moral ? Une approche par l’étymologie peut aider à parfaire notre compréhension.

 

Diable évoque une rupture

Le mot diable, d’origine grecque (diabolos), se retrouve dans le Nouveau Testament rédigé dans cette langue au premier siècle de l’ère chrétienne. L’étymologie permet de cerner le sens originel du mot, connu des rédacteurs des évangiles et des lettres apostoliques. Le verbe dia-bolein, en grec, signifie littéralement : porter ou jeter séparément et donne l’idée d’un double mouvement, d’un dédoublement, d’une séparation. Par le diable, le un devient deux (ou multiple). Son antithèse : sun-bolein (porter ensemble), donne le mot symbole par lequel le deux retrouve l’unité. Le symbolisme est la langue de l’âme, celle qui s’adresse à l’intuition, notre plus haute faculté humaine.

Mais revenons au diable. Quel rapport peut-il y avoir entre la multiplicité et le mal ? Cette question, très ancienne, est aussi au cœur de questionnements scientifiques et philosophiques actuels.

 

Comme Dieu, l’univers est un

 

En 1935, Albert Einstein, père de la relativité, la physique de l’infiniment grand, troublé et agacé par les postulats d’une nouvelle physique concernant l’infiniment petit (la physique quantique) invente, avec deux confrères Boris Podolsky et Nathan Rosen, un type d’expérience capable de démontrer les insuffisances de cette nouvelle physique. La technologie de l’époque ne permettait pas de la réaliser concrètement. C’est en 1982 que le physicien français Alain Aspect y parviendra. Devenue très célèbre sous les initiales de ses inventeurs : EPR, elle a démontré la validité des postulats de la physique quantique et aussi apporté une troublante conclusion : toutes les particules de l’univers sont en interaction permanente les unes avec les autres quelle que soit leur distance : il n’y a aucune séparation. Dans sa réalité la plus profonde l’univers est une globalité, l’univers est un.

Le monde scientifique n’a pas tiré toutes les conséquences d’une aussi étonnante et perturbante découverte. Pourtant les mystiques ont depuis longtemps utilisé ce concept d’unité (au sens ontologique) pour décrire la vie en Dieu, telle qu’ils la connaissaient par leurs extases. Cela veut dire qu’en Dieu, tout est lié, interdépendant, sans séparation. Il n’y a nulle surprise à ce que la Nature reflète ce trait si essentiel de son Créateur. L’homme, fait à Son image, ne devrait-il pas vivre pareillement dans l’unité divine et ne connaître nulle séparation avec Dieu ?

 

La conscience du multiple

 

Pourtant, notre expérience quotidienne n’est pas celle de l’unité mais celle de la multiplicité : non seulement notre égo nous sépare de Dieu, mais aussi des autres égos humains ; notre conscience des objets nous les montre distincts, différents entre eux et différents de nous. Les objets (formes dans l’espace) mais aussi les concepts (formes mentales), indispensables à nos activités et à notre existence, sont cependant des prisons de l’esprit. Ils ne nous donnent pas accès à la Réalité, mais nous laissent sur des interprétations, certes pratiques et acceptées, mais erronées. C’est très précisément cette rupture entre la Réalité fondamentale basée sur l’unité et nos réalités relatives du quotidien, basées sur la multiplicité, qui est la marque du diable, principe de séparation opérant au cœur même de nos existences terrestres.

 

Même s’il nous est difficile d’en comprendre le bien-fondé, nous constatons que le diable a son rôle dans le plan divin. Mais son action en tant que force maléfique, c’est-à-dire empêchant l’union consciente avec le divin, n’est pas incontournable. La promesse du Christ et les réalisations des grands mystiques sont là pour nous l’assurer.

 

L’illustration de cet article est une sculpture intitulée « Diable » de l’artiste tchèque Otmar Oliva, réalisateur de la Croix de l’unité, exposée dans l’église de Vaux-sur-Seine (78). Cette œuvre montre une remarquable convergence avec les principes développés dans cet article.

 

 

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