Quand la bioéthique évacue l’éthique

Une parole sur ce sujet devient très difficile. Parce que le sujet est complexe. Parce que le projet de loi déposé il y a un an, adopté début août au moment où j’écris ces lignes, doit être réexaminé par le Sénat en janvier prochain. Parce que, surtout, les prises de position sur ce sujet sont plus idéologiques que raisonnées. S’opposer au « mariage pour tous », comme s’opposer à la P.M.A. pour tous et pour toutes, c’est se voir taxer d’homophobe ou d’être contre le droit légitime au bonheur d’avoir un enfant à tout prix. Alors, on n’ose plus rien dire.

Et pourtant, la religion du progrès sans frein et une conception de la liberté marquée par le « il est interdit d’interdire » des années 68, posent à notre monde et notre société de graves questions. Où nous mène depuis près de soixante ans cette idéologie du progrès à « tous crins », sinon à la situation d’une planète à bout de souffle ? Où nous mène cette liberté libertaire, sinon à des générations sacrifiées par des élites politiques, médiatiques et intellectuelles : « Pourquoi tous ces intellectuels de gauche ont-ils défendu avec tant d’ardeur des positions qui semblent aujourd’hui si choquantes, notamment l’assouplissement du code pénal concernant les relations sexuelles entre adultes et mineurs, ainsi que l’abolition de la majorité sexuelle ? ». Cette question doit être entendue telle quelle, puisqu’elle est celle d’une victime, porte voix de tant d’autres, jeunes abîmés à vie par une liberté mortifère. Cette voix est celle de Vanessa Springora, abusée par Matzneff, celui que toute une élite parisienne, de droite ou de gauche, a honteusement protégé pendant des décennies. A-t-on entendu de leur part un quelconque « mea culpa » ?

L’usage excessif des techniques nous oblige à un virage écologique si grand, qu’on se demande s’il n’est pas trop tard ? Et surtout, comment l’entreprendre si nous continuons comme avant dans notre fascination devant les nouvelles technologies ? Plus nous en devenons esclaves, plus nous grandissons dans l’illusion qu’elles peuvent nous rendre tout puissants. Car pour l’homme de 2020, il s’agit bien d’un choix crucial, d’une conversion profonde, d’un ultimatum lancé par la planète et par tous les cris des pauvres en ce temps de crise. Le sens premier du mot « crise » en grec est de décider, de faire un choix radical : toute puissance ou humilité ? Orgueil ou accueil ? Orgueil en instaurant, comme le dit le communiste Pierre Dharreville, « le développement d’une bioéthique à la demande marquée par la marchandisation », ou accueil du donné de la création qui nous précède et d’un enfant qui nous est confié ?

Sommes-nous heureux ? Notre société nous rend-t-elle heureux ? On peut en douter quand on voit toutes les peurs et le grand pessimisme devant l’avenir proche qui ne nous quittent plus. Notre bonheur ressemble de plus en plus à une chimère, enfermés que nous sommes dans tant de contradictions et refusant d’en voir la réalité. Comme ces « chimères » que les députés veulent permettre de créer contre l’avis des sénateurs et qui permettent pour la recherche d’insérer des cellules humaines dans des embryons d’animaux. On croit rêver devant tant d’inconséquences à l’heure de la pandémie qui nous interroge sur ces virus qui mutent en passant de l’animal à l’homme ! Décidément, l’intelligence ne nous empêche pas d’être les pires aveugles. On peut soulever bien d’autres incohérences, comme celle de rembourser la P.M.A. au moment où nos dettes, y compris celle de la sécurité sociale, deviennent abyssales.

Certains diront que le projet de loi, tel qu’il ressort après le vote des députés, est satisfaisant, car il rejette les mesures controversées comme la « Ropa » (don d’ovocytes au sein d’un couple de femmes) ou le « DPI-A » (extension du diagnostic préimplantatoire pour déceler les anomalies chromosomiques). À ceux et celles qui doutent que la fascination de la technologie élimine toute éthique, écoutons le très libéral Jean Louis Touraine, rapporteur de la commission à la chambre des députés : « Je ne suis pas déçu car je n’ai aucun doute sur le fait que la Ropa ou encore la P.M.A. de volonté survivante (c’est-à-dire après la mort du conjoint) passeront à la prochaine révision de la loi. C’est inéluctable. Quand vous êtes aux trois-quarts du gué, vous êtes obligé de continuer la traversée ». Voilà tout est annoncé. Des députés ont raison de dire que le texte est une « porte ouverte à la G.P.A. » (Marc Le Fur, L.R.) ou encore que « le cocktail des dispositions nous mène à des dérives marchandes, transhumanistes et eugéniques » (Thibault Bazin, L.R.).

Je vous le disais pour commencer : on ne sait plus quoi dire…

Père Baudoin

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