L’épidémie de Covid-19 ramène l’Eglise à sa responsabilité première : la foi

L’Église a-t-elle encore une place en temps d’épidémie au XXIe siècle ? Contrairement aux siècles passés, l’essentiel des soins médicaux est désormais assumé par l’État et le personnel de santé. La modernité a ses héros sécularisés en blouse blanche et ils sont admirables. Elle n’a plus besoin des bataillons charitables des chrétiens pour soigner les malades et enterrer les morts. L’Église serait-elle devenue inutile à la société ?

Le Covid-19 reconduit les chrétiens à l’essentiel. En effet, depuis longtemps, l’Église est entrée dans un rapport faussé au monde. Confrontés à une société qui prétendait n’avoir pas besoin d’eux, les chrétiens, par pédagogie, se sont efforcés de démontrer qu’ils pouvaient lui être utiles. L’Église s’est montrée éducatrice, mère des pauvres, « experte en humanité » selon l’expression de Paul VI. Elle avait bien raison de le faire. Mais peu à peu, les chrétiens ont fini par oublier la raison de cette expertise. Ils ont fini par oublier que si l’Église peut aider l’homme à être plus humain, c’est en définitive parce qu’elle a reçu de Dieu les paroles de la vie éternelle.

L’Église s’est engagée dans les luttes pour un monde meilleur. À bon droit, elle a soutenu l’éco­lo­gie, la paix, le dialogue, la solidarité, et l’équitable répartition des richesses. Tous ces combats sont justes. Mais ils pourraient faire oublier la parole de Jésus : « Mon royaume n’est pas de ce monde ». L’Église a des messages pour ce monde, mais uniquement parce qu’elle a les clefs de l’autre monde. Les chrétiens ont parfois pensé l’Église comme une aide donnée par Dieu à l’humanité pour améliorer sa vie d’ici-bas. Et ils ne manquaient pas d’arguments tant la foi en la vie éternelle éclaire la juste manière de vivre en ce siècle.

Mourir de désespoir et de solitude

Le Covid-19 a mis à nu une maladie insidieuse qui rongeait l’Église : elle se pensait comme « de ce monde ». Elle voulait se sentir légitime à ses yeux et selon ses critères. Mais un fait radicalement nouveau est apparu. La modernité triomphante s’est effondrée devant la mort. Ce virus a révélé que, malgré ses assurances et ses sécurités, le monde d’ici-bas restait paralysé par la peur de la mort. Le monde peut résoudre des crises sanitaires. Il viendra certainement à bout de la crise économique. Mais il ne résoudra jamais l’énigme de la mort. La foi seule a la réponse.

Illustrons ce propos très concrètement. En France, comme en Italie, la question des maisons de retraite, les fameux EHPAD, a été un point crucial. Pourquoi ? Parce que se posait directement la question de la mort. Les résidents âgés devaient-ils être confinés dans leur chambre au risque de mourir de désespoir et de solitude ? Devaient-ils rester en contact avec leurs familles, au risque de mourir du virus ? On ne savait pas répondre.

L’État, emmuré dans une laïcité qui choisit par principe d’ignorer l’espérance et de renvoyer les cultes au domaine privé, était condamné au silence. Pour lui, la seule solution était de fuir à tout prix la mort physique, quitte à condamner à la mort morale. La réponse ne pouvait être qu’une réponse de foi : accompagner les personnes âgées vers une mort probable, dans la dignité et surtout l’espérance de la vie éternelle.

L’épidémie a frappé les sociétés occidentales au point le plus vulnérable. Celles-ci avaient été organisées pour nier la mort, la cacher, l’ignorer. Elle est rentrée par la grande porte ! Qui n’a vu ces morgues géantes à Bergame ou à Madrid ? Voilà les images d’une société qui promettait il y a peu un homme augmenté et immortel.

Oublier la peur

Les promesses de la technique permettent d’oublier un instant la peur, mais elles finissent par se révéler illusoires quand la mort frappe. Même la philosophie ne fait que rendre un peu de dignité à une raison humaine submergée par l’absurdité de la mort. Mais elle est impuissante à consoler les cœurs et à donner un sens à ce qui semble en être définitivement privé.

Face à la mort, il n’est aucune réponse humaine qui tienne. Seule l’espérance d’une vie éternelle permet de surmonter le scandale. Mais quel homme osera prêcher l’espérance ? Il faut la parole révélée de Dieu pour oser croire en une vie sans fin. Il faut une parole de foi pour oser l’espérer pour soi et les siens. L’Église catholique se voit donc reconduite à sa responsabilité première. Le monde attend d’elle une parole de foi qui lui permette de surmonter le traumatisme de ce face-à-face avec la mort qu’il vient de vivre. Sans une parole claire de foi et d’espérance, le monde peut sombrer dans une culpabilité morbide ou dans une rage impuissante face à l’absurdité de sa condition. Elle seule peut lui permettre de donner sens à ces décès de personnes aimées, mortes dans la solitude et enterrées à la va-vite.

Mais alors, l’Église doit changer. Elle doit cesser d’avoir peur de choquer et d’être à contre-courant. Elle doit renoncer à se penser comme une institution du monde. Elle doit revenir à son unique raison d’être : la foi. L’Église est là pour annoncer que Jésus a vaincu la mort par sa résur­rection. C’est le cœur de son message. « Si le Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vaine, notre foi est trompeuse et nous sommes les plus misérables de tous les hommes. » (1 Corinthiens 15, 14-19). Tout le reste n’en est qu’une conséquence.

Nos sociétés sortiront fragilisées de cette crise. Elles auront besoin de psychologues pour sur­mon­ter le traumatisme de n’avoir pas pu accompagner les plus anciens et les mourants dans leur tombeau mais elles auront plus encore besoin de prêtres qui leur apprennent à prier et à espérer. La crise révèle que nos sociétés, sans le savoir, souffrent profondément d’un mal spirituel : elles ne savent pas donner un sens à la souffrance, à la finitude et à la mort.

Cardinal Robert Sarah(1)

Tribune publiée dans Le Figaro, le 20 mai 2020.

 

(1) Le cardinal Sarah est préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements au sein de la Curie romaine.

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