Ecran ou incarnation ?
Nous vivons un temps de frénésie. Sûrement une expérience grisante de possibilités de tout connaître, de tout voir, de parcourir le monde en un clin d’œil, d’être en relation en permanence. En même temps, nous sommes aliénés par cette frénésie qui nous happe, ne nous laisse pas un instant libre et nous enferme dans une volonté de tout maîtriser, de tout contrôler.
Je vous recommande le livre de Baptiste Detombe, L’homme démantelé ou comment le numérique consume nos existences ? (cf. approche du livre page 7)
Ce qui menace l’homme, c’est tout simplement une déshumanisation. Être connecté tout le temps à du virtuel, c’est se déconnecter du réel avec ses limites, de la nature avec ses obstacles, des relations avec le temps de l’écoute qu’elles exigent. Qu’est-ce en effet que l’homme ? Sûrement pas l’homme avachi devant son écran, qui ne réfléchit plus et n’agit plus ! En offrant une possibilité de contourner les obstacles et les limites du monde, on est invité à vivre une fuite parfaite face à la rencontre de l’effort. Or sans l’effort, il ne peut y avoir d’homme accompli. Est homme celui qui se dépasse, car « l’homme passe l’homme » disait le poète Rimbaud.
Effort réflexif (remplacé par ChatGPT), se sacrifier pour d’autres, intériorité… sont ce qui nous font devenir hommes et femmes. Car comme le prophétisait Jacques Ellul : « Le temps libéré par la technique n’est pas un temps vide où l’homme se retrouve ». Bien au contraire, c’est un temps libéré qui nous rend encore plus esclaves d’un processus de consommation infinie. Nos écrans savent nous solliciter pour de nouveaux visionnages, de nouveaux jeux, de nouveaux achats. Le numérique qui devait faciliter nos vies n’est pas pour le plus grand bonheur de l’homme, mais bien pour la plus grande croissance du marché. Ce tout numérique nous plonge dans une angoisse existentielle.
Est-ce un combat perdu d’avance ? Non, même s’il est difficile. L’auteur avance quelques solutions. J’en retiendrai une en ce temps de l’Avent et de Noël. La foi chrétienne, avec l’Incarnation, nous dit l’importance du regard, l’importance du cœur, l’importance du visage. Au contraire d’une société technicienne qui réduit l’existence à des médiations numériques, Jésus révèle un Dieu qui prend le temps de la rencontre de personne à personne. Le monde du virtuel et de la distance, de la froideur et de la technique génère beaucoup d’angoisses. La religion de l’humilité de Dieu peut sauver l’homme d’aujourd’hui de cette angoisse. Le contact humain chaleureux, le don de soi, est le seul acte véritablement révolutionnaire. C’est notre amour des hommes, tel que Jésus l’a vécu et révélé, qui peut nous rendre intolérants à l’asservissement et au vide de l’écran. « L’homme moderne est un angoissé. L’angoisse s’est substituée à la foi » Bernanos.
Frère Baudoin, prêtre.

