L’épopée des paquebots français
Les vacances approchent ! Peut-être avez-vous décidé de partir en croisière à bord de ces « monstres » qui ne cessent de repousser les limites de leur taille et du luxe pour offrir à leurs passagers une expérience unique ! Savez-vous que depuis janvier 2024, l’Icon of the seas, appartenant à une compagnie américano-norvégienne, est le plus grand paquebot du monde avec 365 mètres de long (3 terrains de football), 50 mètres de large et 70 mètres de hauteur ? Véritable gratte-ciel flottant, il peut accueillir jusqu’à 7 600 passagers et son équipage est composé de 2 350 personnes. Ce mastodonte pèse 250 000 tonnes (5 fois plus que le Titanic) et atteint une vitesse de croisière de 22 nœuds (40 km/h).
Mais restons dans la normalité et remontons le temps avec l’histoire des premiers paquebots transatlantiques français ! Pendant plus d’un siècle (1864-1974), la France et les Etats-Unis sont reliés par mer grâce aux bateaux de la Compagnie Générale Transatlantique appartenant aux frères Pereire, banquiers et hommes d’affaires renommés pour leur investissement dans le chemin de fer français et européen. La compagnie construit plusieurs paquebots qui sont baptisés du nom de provinces françaises comme le Bourgogne, le Touraine, le Lorraine, … ou de personnalités : Lafayette, Impératrice Eugénie. Pour attirer la clientèle, des paquebots de plus en plus grands, confortables et rapides sont construits dans les chantiers navals de Saint-Nazaire où en sortiront, au XXe siècle, les mythiques France et Normandie.
Les inventions de la machine à vapeur et de l’hélice lancent les navires transatlantiques. Les traversées sont rapides et assez ponctuelles. A la différence des voiliers, l’avancée des bateaux ne dépend plus du vent capricieux. En 1838, le vapeur Sirius, sous pavillon britannique, est le premier à relier l’Europe et l’Amérique du nord en une quinzaine de jours.
En 1864, les navires français traversent régulièrement l’Atlantique nord pour joindre les ports du Havre et de New-York. A leur bord, de riches personnages où leur sont réservées les première et deuxième classes mais aussi des migrants occupant la troisième classe, bien évidemment moins confortable. Entre 1820 et 1920, environ trente-trois millions d’Européens partent à destination des Etats-Unis dans l’espoir d’une vie meilleure. Après la visite médicale avant embarquement, leur condition de voyage est déplorable : entrepont où les attendent des dortoirs à l’avant et à l’arrière du bateau, manque de sanitaires et parfois absence de salles communes. Une fois débarqués, leurs dortoirs débarrassés des lits et des tables se transforment en cale pour rentabiliser le voyage retour en ramenant quelques marchandises.
Dans les années 1920, la vague des migrations se tarit pour les compagnies de navigation car les Etats-Unis mettent en place des quotas qui réduisent drastiquement le nombre d’immigrants. Pour éviter la faillite, il faut s’orienter vers la clientèle riche déjà présente sur les paquebots mais jusque-là minoritaire. Dans ce but, la carte du luxe à la française est lancée !
Dans un premier temps, décoration des bateaux en s’inspirant de l’art français du XVIIe ou XVIIIe siècle par des architectes d’intérieur, puis aménagement des salons dans le style art déco. Le meilleur de la gastronomie française est à l’honneur, les alcools coulent à flots. Exemple : le Normandie embarque 187 cuisiniers et leurs aides, 6 sommeliers et 7 000 bouteilles de vin millésimés et de champagne. Les Américains, soumis à la prohibition dans leur pays, trouvent là un moyen de s’énivrer en toute légalité.
La course au « ruban bleu »
Mais la concurrence étrangère pousse à se surpasser. Les bateaux sont de plus en plus grands, longs et rapides : construits pour battre des records. Au milieu du XIXe siècle, la traversée durait quatorze jours. En 1935, le Normandie réduit le temps de voyage à quatre jours et trois heures à 55 km/h et décroche ainsi le fameux drapeau récompensant le transatlantique le plus rapide.
L’installation de la radio à bord permet de capter les SOS des navires en détresse. Ce fut le cas le 26 juillet 1953 au large de New-York où L’Île-de-France venant de quitter la ville fit demi-tour pour porter secours à L’Andréa Doria suite à un impact avec le Stockholm causé par un épais brouillard. Déjà couché sur le côté, sept cent cinquante-trois passagers furent ainsi sauvés.
Pendant les deux guerres mondiales les traversées continuent malgré les risques de torpillage des sous-marins ennemis. L’Etat réquisitionne certains bateaux pour les transformer en croiseurs auxiliaires. La Compagnie générale transatlantique sort exsangue de la Seconde guerre mondiale, les deux tiers de sa flotte ont été détruits. Son blason resplendit à nouveau en 1962 avec le France : c’est alors le plus long paquebot du monde (316 m). Mais dans le même temps les avions traversent l’océan en quelques heures. En 1974, faute de rentabilité, la compagnie renonce à la ligne transocéanique. Son fleuron le France, abandonné quatre ans sur un quai du Havre, est vendu à un prince saoudien puis à un armateur norvégien, laissant les Français révoltés par l’abandon de « leur » paquebot dont ils étaient si fiers.
Geneviève Forget