Quelques femmes dans l’Ancien Testament (2ème partie)

Moïse sauvé des eaux

 

L’article précédent avait pour prétention de nous introduire à la lecture du rôle de certaines femmes selon la Bible ; la question se pose de savoir si ces récits sont historiquement crédibles, s’ils nous décrivent des événements qui se seraient réellement passés, comme aujourd’hui les articles dans les journaux sont réputés s’appuyer sur des faits vérifiables, attestés par témoins.

Cette question se pose pour tout récit, qu’il soit de l’Ancien ou du Nouveau Testament. Par exemple, l’appel par Jésus des premiers apôtres, Pierre et André, ou la généalogie de Jésus, proposée par Matthieu (chap. 1) et Luc (chap. 3). De profondes divergences existent et si on s’en tient exclusivement au niveau factuel : on se demande qui a raison.

Qu’en déduire ? Le récit est construit pour nous faire découvrir l’intention de Dieu lorsqu’il a créé l’Homme, puis comment son plan de salut nous fut révélé par le peuple juif, puis comment le Sauveur vient nous défaire de notre péché et nous offrir le salut. Ce qui s’est réellement passé, toute importante que soit cette interrogation, est secondaire ; ce qui ne veut pas dire que le récit pourrait être faux ; ainsi, il existe de nombreuses indications dans ces textes que les études archéologiques actuelles vérifient sur le terrain.

Et maintenant en ce qui nous concerne, même si en reprenant les récits bibliques, nous adoptons le ton affirmatif de la certitude, gardons à l’esprit que les faits relatés le sont avant tout pour le sens qu’ils portent et moins pour leur exactitude factuelle.

Dans cet article, je vous propose de relire la naissance de Moïse, (le plus grand personnage de l’histoire du peuple juif en dehors de Jésus) dans le premier chapitre du livre l’Exode, livre qui suit la Genèse. Nous y voyons le peuple juif asservi par les Égyptiens qui le retiennent en esclavage et lui font accomplir des tâches rudes. Pharaon, inquiet de leur dynamisme démographique, leur impose des corvées de plus en plus dures, espérant réduire les naissances au sein des foyers hébreux ; cette mesure fut sans succès. Constatant son inefficacité, « Pharaon donna l’ordre à tout son peuple : tout fils (hébreu) qui naîtra, jetez-le au fleuve (le Nil), mais laissez vivre toute fille » (Exode, 1, 22).

Voici qu’un petit enfant, Moïse, fut épargné de la fureur de Pharaon par l’audace de sa maman : à sa naissance, l’ayant trouvé particulièrement beau, elle le dissimula, le nourrit en secret les trois premiers mois de sa vie. Mais « ne pouvant le dissimuler plus longtemps, elle (sa maman) prit pour lui une corbeille […] y plaça l’enfant et le déposa dans les roseaux [du Nil] » (Exode 2, 3) ; elle chargea la sœur de l’enfant de surveiller discrètement ce berceau flottant sur l’eau qui, en principe, aurait dû l’engloutir, selon l’ordre de Pharaon. La princesse royale, accompagnée de ses servantes, descendant dans le fleuve pour s’y baigner, découvrit l’enfant ; celui-ci pleurait et la fille de Pharaon en éprouva de la compassion : la sœur de l’enfant, ayant observé toute la scène, sortit de sa cachette et proposa de trouver une nourrice qui s’occuperait de l’enfant. La fille de Pharaon ayant accepté, elle alla chercher sa propre mère, c’est-à-dire la maman de Moïse, pour s’occuper, sur ordre de la princesse, fille de Pharaon, de Moïse, qui aurait dû être tué à la naissance ! Et c’est ainsi que fut nourri, élevé, éduqué sous la protection de la famille royale d’Égypte, celui qui allait, sur prescription de Yahvé, libérer les Hébreux de la servitude imposée par l’Égypte.

Notons que c’est la princesse royale, mère adoptive de l’enfant, qui le prénomma Moïse (nom qui signifie : tiré des eaux)

Cette histoire est-elle véridique ? S’appuie-t-elle sur des éléments historiquement sûrs ? On peut s’interroger, car la transmission au sein du peuple hébreu se faisait par oral ; on sollicitait la mémoire non seulement par la parole, mais aussi par le geste rythmé, par le mime. Cette transmission aux jeunes par les anciens était très efficace, fidèle et vaste. Certains même ont pu dire que la mémoire ainsi sollicitée a permis la transmission, de génération en génération, de plus de connaissances que la transmission écrite : celle-ci supposait en effet un support matériel (papyrus, peau animale, os) qui, fragile, s’altérait avec le temps.

Interrogeons plutôt ce texte : que Dieu veut-il nous dire à travers cette histoire ? Sans la présence d’esprit, l’audace et le courage de la maman (elle se doutait que les autorités égyptiennes auraient été impitoyables si elles avaient découvert comment on enfreignait les ordres), sans la malice de la sœur, sans la compassion de la fille de Pharaon, cet enfant aurait été tué comme les autres. Moïse, qui permit aux Hébreux de traverser la Mer Rouge sans s’y noyer, qui les conduisit à la porte de la Terre Promise, qui se vit remettre les tables de la loi (la Torah) par Yahvé, qui fut l’intermédiaire entre Yahvé et le peuple hébreu, qui endura (et réduisit) plusieurs révoltes au sein du peuple, nous révèle, dans sa prime enfance, la sollicitude de Dieu qui passe par nous les Hommes (par les femmes, en l’occurrence). Les lois humaines les plus féroces ne peuvent aller à l’encontre du plan de Dieu. Et mieux encore : s’il a eu la chance d’être recueilli par la famille royale, c’est parce qu’il fut « tiré des eaux » par la fille du souverain ; s’il fut tiré des eaux, c’est parce que sa maman voulut le protéger. Le protéger contre le décret sanguinaire de Pharaon, responsable sans doute (la Bible ne le dit pas), de la mort de plusieurs bébés mâles au sein du peuple hébreu. Ainsi, avec la collaboration de plusieurs femmes et en dépit de la volonté meurtrière des autorités, Dieu réussit à faire advenir son projet, un projet de libération du peuple élu au sein de qui advint le Salut proposé à toute l’humanité. Le lieu de mort (l’eau du Nil) devint lieu de salut.

Reconnaissons qu’un tel récit nous révèle quelque chose d’éblouissant : se poser la question de sa véracité factuelle est certes important, mais secondaire.

Antoine Clave

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *