Résilience alimentaire et sécurité nationale

Dans le cadre du débat national sur la PAC(1), le PTCE(2) « Vivre les Mureaux » avait organisé le 2 juin dernier une visioconférence suivie d’un débat sur le thème : « Résilience alimentaire et sécurité nationale ».

Si le terme « sécurité nationale » se comprend, il n’en n’est peut-être pas de même pour celui de « résilience alimentaire ». Un peu d’explications donc. En sciences physiques, la résilience désigne la capacité d’un matériau à retrouver son état initial après avoir été soumis à une perturbation extérieure (choc, déformation, élévation en température). Par extension, la résilience alimentaire désigne la capacité d’un territoire à garantir la sécurité alimentaire des habitants, dans un contexte de perturbations multiples et imprévisibles.

Comment en est-on arrivé à mettre en lumière une telle problématique ?

Il ne vous a pas échappé que pendant les premières semaines de confinement, nous avons eu du mal à trouver dans nos magasins certains produits de base : farine et œufs par exemple. Mais nous avons eu de la chance : même si les marchés étaient fermés, certains producteurs locaux ont effectué des livraisons à domicile et les grandes surfaces et primeurs ont continué à être achalandés. Il n’y a effectivement pas eu d’arrêt des transports, pas de pénurie de pétrole et les routiers ont continué à rouler. Seulement voilà, cette crise a interpellé le PTCE, déjà engagé dans des démarches d’agro-écologie et d’économie sociale et solidaire : si ces livraisons n’avaient pas pu être effectuées, l’autonomie alimentaire des Mureaux n’aurait été que de quelques jours et l’insécurité alimentaire aurait pu vite dégénérer en pugilat pour se nourrir, mettant à mal la sécurité de la commune et, à plus grand échelle, la sécurité nationale. D’où l’idée de faire intervenir Stéphane Linou, auteur du livre « Résilience alimentaire et sécurité nationale », ancien conseiller général de l’Aude, pionnier du mouvement locavore en France et porteur de ce sujet depuis vingt ans.

Stéphane Linou a exposé comment, jusqu’à l’arrivée de Napoléon, les maires devaient s’assurer que, quoiqu’il arrive, il y ait assez de nourriture dans l’enceinte de la ville. Deux siècles plus tard, les territoires font venir ce qui leur manque : « ils sont perfusés de partout pour l’énergie, l’alimentation, l’eau, … ». Qui plus est, personne n’est aujourd’hui capable de dresser une cartographie des flux alimentaires.

Les territoires ont donc un degré de vulnérabilité énorme par rapport aux approvisionnements. Par ailleurs, si, dans la loi de programmation militaire, l’alimentation fait bien partie d’un des douze secteurs d’activité d’importance vitale, elle n’est pas considérée dans tout son spectre : il n’y a pas de protection du foncier nourricier, des agriculteurs, des exploitations agricoles. Il n’y a rien non plus sur l’autonomie alimentaire des territoires dans les plans communaux de sauvegarde dans les mairies, dans les documents départementaux sur les risques majeurs.

Si le COVID-19 avait été plus létal et s’il y avait eu de surcroît une rumeur d’un manque d’approvisionnement, les vigiles de supermarchés auraient été débordés, auraient fait appel à la police municipale qui aurait été débordée, à la police nationale qui aurait été débordée, à la gendarmerie nationale qui aurait été débordée et au reste de l’armée qui aurait été affaiblie.

Stéphane Linou démontre donc que « la non-territorialisation de la production et de la consommation alimentaire, qui plus est avec des populations non préparées et devenues intolérantes à la frustration, concourt à affaiblir la sécurité nationale ».

Sur un plan national, il y a donc urgence à intégrer la résilience alimentaire des territoires dans les schémas de planification territoriale, dans la loi de sécurité intérieure et dans la loi de sécurité militaire.

Le débat qui a suivi la conférence a mis en lumière les initiatives existantes, les associations qui les portent ou les fédèrent comme le collectif « Resiliere » et la nécessité de travailler en réseau, en particulier au niveau des territoires.

Sur un plan local, l’idée de revenir à une production diversifiée autour de chez soi en lien avec la promotion de l’économie sociale et solidaire fait son chemin : « les jardins ouvriers, ce n’est pas un gadget ». A titre d’exemple, des villes comme Dompierre-sur-Yon en Vendée ou Ungersheim en Alsace dont l’aventure est relatée dans le film « Qu’est-ce qu’on attend ? », se sont déjà mises en route sur la voie de l’autosuffisance alimentaire. Et d’une façon générale, les projets d’installer des ceintures maraîchères autour des villes se développent.

Cette conférence invitait bien sûr à alimenter le débat public sur la PAC mais aussi à encourager les initiatives locales comme celles développées dans nos communes ou nos territoires, telles que les jardins partagés, AMAP (Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne), …

Véronique Schweblin

 

Pour en savoir plus, vous pouvez lire le livre-enquête de Stéphane Linou « Résilience alimentaire et sécurité nationale » publié en 2019.

 

(1) La PAC (Politique Agricole Commune) est une politique mise en place à l’échelle de l’Union européenne. À l’origine, elle est fondée principalement sur des mesures de contrôle des prix et de subventionnement, visant à moderniser et développer l’agriculture. C’est quarante centimes par habitant et neuf milliards redistribués en France chaque année. La nouvelle Politique Agricole Commune pour la période post-2020 est actuellement en cours de négociation au Conseil et au Parlement européens. Pour la décliner au sein des Etats membres, les nouveaux règlements PAC de la Commission européenne prévoient que chaque Etat établisse un plan stratégique national.

Ce plan sera adopté par la Commission européenne dont elle évaluera la cohérence et le contenu avant de l’adopter pour la période 2021-2027.

Le 5 février 2020, la Commission Nationale du Débat Public, créée en 1995 par la loi Barnier relative au renforcement de la protection de l’environnement, a validé le dossier engageant un débat public qui devait durer trois mois, du 23 février au 31 mai 2020. Toutefois, suite à la crise COVID-19, les réunions et débats ont été suspendus mais devraient reprendre de façon imminente (cf. https://impactons.debatpublic.fr/)

 

(2) Le PTCE (Pôle territorial de coopération économique) “Vivre les Mureaux” est une initiative citoyenne visant à améliorer la qualité de vie aux Mureaux, à favoriser la joie à vivre ensemble, à valoriser la capacité, à améliorer le regard porté sur la ville et à créer les conditions économiques pour la réussite de chaque Muriautin.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *