Paquebots 1913-1942 : une esthétique transatlantique
Tel est le titre de l’exposition qui se tient actuellement au MuMa (musée d’art moderne André Malraux) au Havre, jusqu’au 21 septembre. Cette exposition évoque et explore les œuvres inspirées par les paquebots, qu’elles soient des œuvres de peintres, de photographes, d’architectes, de cinéastes, de poètes, d’affichistes etc. Alors arrêtons-nous sur certains de ces paquebots qui ont inspiré tous ces artistes et qui ont eu leur heure de gloire avant que l’avion ne rende les voyages transatlantiques désuets car la durée de traversée a toujours été un record à battre (ruban bleu).
Le Sirius, (non ! pas celui de Tintin dans l’Etoile mystérieuse) parti de Cork avec quatre-vingt quatorze passagers le 5 avril 1838 entrait dans le port de New York le 26 avril au matin, après dix-huit jours et demi de traversée. C’est le premier bateau à avoir effectué la traversée de l’Atlantique entièrement à la vapeur. Malgré 453 tonnes de charbon et 53 barils de résine, il fallut brûler tous les agrès de rechange pour atteindre le bout du voyage.
Quelques jours plus tard le Great Western fait cette même traversée en 15 jours, 10 heures et 30 minutes, décrochant ainsi le premier record.
Le 7 mai 1915, les Américains découvrent horrifiés le naufrage du paquebot britannique Lusitania. Il avait quitté six jours plus tôt New-York en direction de Liverpool avec 2 165 passagers à son bord. 1 200 personnes ont perdu la vie, dont 128 américains. Dans les années 70, les Britanniques admirent la présence dans les cales de 4 200 caisses de munitions pour armes individuelles, 3 250 fusées à percussion pour obus et 1 248 caisses contenant 5 000 obus.
Durant l’entre-deux guerres, plusieurs paquebots prestigieux vont être mis en service, Bremen, Europa, Queen Mary, Queen Elisabeth (premier du nom), Lafayette (premier paquebot transatlantique français à propulsion diesel), Champollion. Ce dernier, affecté à la ligne Égypte-Syrie, lancé en mars 1924, possédait une décoration luxueuse qui faisait référence à l’Égypte suite à la découverte en 1922 de la tombe de Toutankhamon. Les murs étaient décorés de frises ou de panneaux reprenant des sujets de la mythologie égyptienne. S’y trouvaient aussi des statues, des toiles évoquant Philae ou la Vallée des rois ainsi qu’une reproduction de la pierre de Rosette. Il finit sa carrière en s’échouant à 400 m devant le port de Beyrouth en décembre 1952.
Sorti des chantiers de Saint Nazaire en 1927, avant le Normandie et après le Paris (1921) l’Île-de-France se démarque par sa décoration intérieure « Art déco » particulièrement novatrice pour l’époque. Pour son luxe, il sera surnommé La rue de la Paix de l’Atlantique. À son bord, règne une atmosphère d’insouciance, propre aux années folles de l’entre-deux guerres et l’alcool coule à flot à chaque arrivée à New-York en cette période de prohibition. En juin 1940, il est capturé à Singapour par les Britanniques qui vont l’utiliser comme transport de troupes pendant toute la guerre. Il recevra aussi le surnom de Saint-Bernard de l’Atlantique pour avoir participé à de nombreux sauvetages de navires dont celui de l’Andrea-Doria en 1956 (753 rescapés).
Quand il entre en service en 1935, le Normandie est le plus grand paquebot au monde long de 313 mètres et il peut transporter plus de 1 800 passagers. Il a été conçu pour être à la fois le plus rapide, le plus grand et le plus luxueux du monde. Le premier voyage vers New York débute le 29 mai. Il rejoint le port new-yorkais 4 jours, 3 heures, et 2 minutes plus tard. Paré de trois cheminées, deux seulement étaient en fonction, la troisième servant de chenil !
Après cent trente-neuf traversées et cinq records de vitesse, il est bloqué dans le port de New-York pendant la seconde guerre mondiale. En cours de transformation pour assurer le transport de troupes (rebaptisé USS Lafayette), le feu se déclare à bord et le Normandie va couler le 9 février 1942 sous l’effet des tonnes d’eau déversées pour éteindre l’incendie.
Les portes de la salle à manger du paquebot Normandie comptaient dix médaillons représentant des lieux de cette région de France ; elles ornent désormais l’entrée de la cathédrale Notre-Dame du Liban à Brooklyn.
Dernier géant de la Compagnie Générale Transatlantique, le France (troisième du nom) est mis à l’eau le 11 mai 1960, en présence du président de la République de l’époque, le général de Gaulle. Il est reconnaissable à ses célèbres moustaches placées sur les deux cheminées qui lui donneront sa silhouette sexy. L’équipage est composé de 1 050 personnes, officiers, officiers-mariniers, personnels de service, de cuisine et de soute, dont une cinquantaine de femmes. Sa croisière inaugurale a débuté le 19 janvier 1962, embarquant 1 705 passagers. Se trouvaient à son bord le chanteur Tino Rossi, la première dame et marraine du navire, Mme Yvonne de Gaulle. Tout fonctionne parfaitement pendant la croisière vers les Canaries, excepté un ascenseur qui tombe en panne alors qu’Yvonne de Gaulle s’y trouve avec son fils, Philippe.
Sa première traversée transatlantique eut lieu le 3 février 1962 avec 1 806 passagers à bord.
Durant ses douze premières années, de 1962 à 1974, il effectua des croisières autour du monde et de nombreuses traversées transatlantiques. Son manque de rentabilité a conduit à son désarmement. Il subit alors plusieurs transformations, est rebaptisé Norway et va assurer des croisières dans la mer des Caraïbes. En 2006, il est finalement revendu sous le nom de Blue Lady à un ferrailleur et se retrouve sur le chantier d’Alang, en Inde, où son démantèlement se termine en 2009.
En 2017, la pointe d’étrave ou nez est achetée aux enchères par la Ville du Havre avec le concours de l’État, restaurée elle est désormais exposée dans le port d’attache du dernier grand transatlantique français.
Une petite histoire
En 1963, la France prêta La Joconde aux États-Unis pour resserrer des liens d’amitié un peu distendus. Le voyage s’est effectué à bord du France en première classe ; La Joconde est enfermée dans l’appartement Artois et le ministre de la Culture du général de Gaulle, André Malraux accompagne ce célèbre tableau qui fut exposé à la National Gallery of Art de Washington… (cf. la BD Le ministre & La Joconde de Tanquerelle et Bourgeron). Et un projet ???????? depuis 2011 : un nouveau paquebot pourrait succéder au France.
Bruno Gonin