Claudine Barruet, déléguée régionale « Elles Bougent »

Au printemps dernier, nous avons été intrigués en apprenant que des ingénieures d’ArianeGroup, membres de l’association « Elles Bougent », étaient intervenues pour faire découvrir leur métier à l’école élémentaire d’Hardricourt. Nous avons voulu en savoir plus sur cette association et nous sommes tournés vers Claudine Barruet, Méziacoise.

 

Bonjour Claudine. « Elles Bougent », c’est un joli nom, mais pouvez-vous expliquer à nos lecteurs ce qu’il y a derrière ces mots ?

Bien sûr ! L’association est née en 2006, suite à une demande d’entreprises du transport qui souhaitaient recruter davantage de femmes ingénieures. Marie-Sophie Pawlak, alors directrice des relations extérieures d’une école d’ingénieurs et elle-même ingénieure de formation, l’a alors créée : dans un premier temps, des femmes ingénieures et techniciennes de ces entreprises adhérant à cette démarche et à l’association – les « marraines » dans le jargon « Elles Bougent » – intervenaient dans les écoles pour présenter les métiers scientifiques et techniques et les formations.

C’est amusant que cette requête vienne des entreprises. Pourquoi une telle demande ?

Aujourd’hui, c’est très à la mode mais en 2006, on découvrait le besoin de la mixité dans les entreprises. Avoir des femmes dans les équipes, cela apporte quelque chose de positif, une autre ambiance, des idées nouvelles, … Malheureusement, la situation ne s’améliore que très lentement et les jeunes filles boudent souvent les métiers techniques, surtout parce qu’elles ne les connaissent pas !

Cette problématique concerne uniquement les entreprises de transport ?

Au départ, effectivement, « Elles Bougent » n’était implantée que dans les industries du transport (SNCF, Alstom, …) et de l’aéronautique (Dassault, Safran, …) et dans des sociétés très industrialisées (production, fabrication, …). Mais aujourd’hui, nous avons de nouveaux partenaires, en particulier dans tous les métiers du numérique et des données (data) comme les banques. Nous avons par exemple un partenariat avec le syndicat national des industries des technologies médicales qui fabriquent entre autres des scanners et des IRM ou encore Ubisoft, une société de création de jeux vidéo, domaine dans lequel il y a très peu de femmes.

Et qu’est-ce que vous mettez derrière « partenariat »?

Les partenaires financent l’association. Cela permet de couvrir un certain nombre de frais comme l’équipe d’une dizaine de salariés de l’association, l’organisation de rassemblements ou encore les déplacements des marraines et des élèves. Les partenaires se proposent pour accueillir des lycéennes dans leurs locaux ; elles donnent aussi aux marraines des jours pour mécénat ou bénévolat ; cela permet de rencontrer des élèves lors de visite de l’entreprise, d’intervenir dans des établissements scolaires, dans des classes ou lors de forums ou encore de participer à de grands événements ; nous accompagnons par exemple deux cents cinquante jeunes filles au salon du Bourget. Toutes ces interventions sont organisées par « Elles Bougent ». Autre exemple, à Hardricourt, après l’intervention dans la classe de CE2/CM1, nous sommes allés visiter l’entreprise ArianeGroup et c’est « Elles Bougent » qui a financé le transport. Tout cela est organisé au niveau de l’association par les salariés dont la directrice générale, Amel Kéfif, et toute une équipe issue des partenaires dont les délégués régionaux et la présidente, Valérie Brusseau de l’entreprise Valéo.

Dix personnes salariées, cela veut dire que vous êtes maintenant une grosse association ?

C’est vrai. Nous avons maintenant 26 délégations dont une en Belgique et une au Maroc, 330 partenaires, plus de 1500 collèges et lycées dont 34 à l’international et nous sommes maintenant 9 400 marraines. Nous avons également créé le titre de « relais », des personnes sympathisantes à notre action mais qui ne peuvent pas être marraines : papas de jeunes filles, par exemple, mais aussi des personnes prêtes à nous aider, sans appartenir à une entreprise partenaire. Nous avons 1 950 relais. Du côté des jeunes, nous comptons 11 030 étudiantes qui s’inscrivent aux actions de l’association.

Et vous, personnellement, comment en êtes-vous arrivée à être marraine « Elles Bougent » ?

C’est le responsable des ressources humaines de la société dans laquelle je travaillais en 2009, Sagem, maintenant devenue Safran, qui m’a demandé de recevoir des jeunes filles pour leur parler de mon parcours scolaire et professionnel. J’ai trouvé cela intéressant ; je suis devenue « marraine » et ai continué à être sollicitée. L’association grandissant, il y a eu création de délégations régionales dont celle de l’Île-de-France en 2014, ce qui a permis une animation locale, au plus près des besoins et depuis sept ans, je suis déléguée régionale. Etant en retraite depuis deux ans, j’interviens plus en tant que support, d’autant plus qu’il y a désormais quatre co-déléguées pour la région.

Y-a-t-il eu, dans votre cheminement professionnel, des interrogations ou difficultés particulières qui font que vous vous êtes impliquée ?

J’ai passé un bac technique (bac E) où j’étais la seule fille. Puis, j’ai fait l’EPF, une école d’ingénieure post-bac en quatre ans à l’époque où il n’y avait que des filles. J’ai travaillé dix ans à la DGA, dix ans à ArianeGroup et j’ai terminé ma carrière à Safran. J’ai été déroutée par les questions des jeunes filles lors des rencontres « Elles bougent » : « En tant que femme, avez-vous été défavorisée, dévalorisée ? » et j’ai reconnu que j’avais parfois eu des réflexions dérangeantes, pas si anodines que ça… Je me suis aussi aperçue que les rapports d’égalité hommes/femmes rédigés dans les entreprises n’étaient pas exploitables : quand il y a deux femmes dans un secteur pour soixante hommes, quelles analyses comparatives peut-on faire ? La solution, c’est qu’il y ait plus de femmes et pour qu’il y ait plus de femmes, il faut faire connaître nos métiers.

Justement, comment donner envie aux jeunes filles de faire des études scientifiques ?

J’ai fait plusieurs constatations :

  • les parents ne sont pas les meilleurs ambassadeurs auprès de leurs enfants, il faut une autre vision ;
  • au lycée, les options sont souvent choisies très tôt même si on peut changer d’orientation. Il y a des parcours incroyables ! D’ailleurs, les jeunes se révèlent vraiment dans les parcours qu’ils aiment ;
  • au collège, les jeunes filles veulent faire comme leurs copines et ne se mélangent d’ailleurs plus aux garçons ;
  • il faut intervenir en primaire où garçons et filles s’expriment encore spontanément l’un devant l’autre.

Que proposez-vous en primaire ?

Suite à une intervention sur la mixité scientifique faite dans une école parisienne, nous avons monté un projet dédié aux classes du primaire. Ce projet est préparé avec les enseignants et ce sont les marraines qui démarchent les écoles directement : à Hardricourt où j’avais été sollicitée par les marraines d’ArianeGroup, j’ai pu en parler à l’équipe enseignante facilement, étant

bénévole à l’aide aux devoirs. Notre prestation se déroule en trois parties :

  • une intervention dans la classe avec différents éléments :
  • un jeu sur les stéréotypes de la mixité : nous distribuons des cartes métiers et dialoguons avec les enfants sur le métier représenté. Est-ce un métier pour un garçon ? pour une fille ? Pourquoi ?
  • une expérience scientifique en groupe. Les enfants manipulent des objets pour amener à une démarche scientifique. Par exemple, avec les marraines d’ArianeGroup à Hardricourt, avec un ballon de baudruche, une paille et une ficelle, nous les avons fait réfléchir sur les critères qui font qu’un ballon gonflé monte plus ou moins loin le long d’un fil ;
  • une visite d’entreprise pour rencontrer des personnes qui ont différents métiers et qui leur en parlent. Lors de la visite d’ArianeGroup, les élèves étaient motivés, intéressés, avaient retenu plein de choses et répondaient aux questions du responsable de la visite, voire en posaient de façon très pertinente ;
  • une restitution : la classe fait une présentation à une autre classe, devant des parents ou fait un panneau pour l’école ; nous sommes là le jour de la restitution.

Les marraines se connaissent-elles entre elles ?

Oui, il y a tout un volet d’animation du réseau avec des soirées après le travail (Afterworks) ou des soirées de coaching sur un thème. Nous avons eu dernièrement une conférence sur la voix (on reproche souvent aux femmes qu’elle soit dérangeante, trop rapide) suivie d’un accompagnement avec des exercices pour poser la voix, régler un micro, prendre la bonne position, … Nous avons aussi travaillé sur la fresque de la diversité. Ce sont des moments d’échange très riches. Et, bien sûr, les marraines se retrouvent dans les grandes actions que nous menons ; nous organisons prochainement un speed-dating avec soixante-quinze jeunes lycéennes qui rencontreront des professionnels pour parler métier, formation, stage, … Je pense aussi aux actions dans le cadre de la SMARTCITY (en vue de l’amélioration de la vie en ville) où des entreprises comme Spie ouvrent leurs sites aux jeunes encadrés par des marraines pour présenter les innovations en amélioration de la vie en ville. Cette action se fait d’ailleurs dans le cadre d’un partenariat très important avec le Val d’Oise.

Et que faut-il faire pour être marraine ?

Il faut avoir fait des études scientifiques ou être étudiante dans un cursus scientifique, être prête à donner de son temps et par-dessus tout aimer ce que l’on fait.

Merci beaucoup, Claudine, avez-vous un message à faire passer à nos lecteurs ?

Oui, rejoignez-nous comme marraine ou relais ; pour les collèges et lycées, vous pouvez vous inscrire gratuitement sur le site Internet « Elles Bougent » pour demander une intervention. Si vous désirez plus d’information, rendez-vous également sur le site.

Propos recueillis par Véronique Schweblin et Bruno Gonin

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