Pierre Picault, qui a été chocolatier à la boutique « La Petite Marraine » à Meulan

Nous vous invitons ce mois-ci à faire une rencontre qui fera sans doute remonter beaucoup de souvenirs aux anciens de notre secteur, elle permettra aussi aux plus jeunes de découvrir quelques secrets d’un expert en bonbons de chocolat de qualité.

 Bonjour monsieur Picault et merci de recevoir « Les Echos », vous avez longtemps tenu la boutique « La Petite Marraine » sur la place Brigitte Gros à Meulan, racontez-nous ce qui vous a mené à nous ?

C’est une longue histoire… Il faut commencer par préciser que je suis né dans le métier, mon grand-père, mon père, mes oncles, tous étaient boulangers-pâtissiers à Joinville-le-Pont ; c’est donc dans le milieu familial que j’ai fait mes armes et appris le métier. J’ai d’abord travaillé avec mon père dans son commerce pendant huit ans, c’était en 1947, j’avais alors tout juste 15 ans. Il faut vous dire qu’à cette époque, juste après guerre, la profession demandait beaucoup, il fallait un bon coup de pédale et un sacré équilibre pour livrer les pièces montées… à vélo ! J’imaginais bien mon avenir tout tracé dans la pâtisserie mais, comme tout un chacun, je suis parti au service militaire, obligatoire à ce moment-là, en 1953. Durant cette période, je suis malheureusement tombé sur un officier qui voulait faire de ses soldats une troupe d’élite et nous avons eu droit à un entraînement type « commando » auquel nous n’étions pas vraiment préparés. Il y a eu beaucoup de dégâts parmi les jeunes appelés et pour ma part, j’y ai laissé mon dos ! Plus question de penser à mon rêve de pâtissier, une profession qui demande de rester plusieurs heures par jour debout, je me suis donc orienté vers le chocolat et la confiserie…

Chocolatier, voilà vraiment un très beau métier, mais pourquoi Meulan ?

J’ai cherché à l’époque un magasin bien installé dans cette branche et qui était en vente. Il se trouve qu’il y en avait un à Meulan, il s’appelait déjà « La Petite Marraine », M. Boivin l’a tenu de 1925 à 1953. La boutique était petite mais bien située, au cœur de la ville, place Brigitte Gros (place Gency en 1953). Notre prédécesseur vendait aussi des produits diététiques. Nous avons donc continué et avons eu deux clientèles, l’une pour la confiserie et le chocolat et l’autre pour les produits spécialisés. Les deux étaient plutôt complémentaires car le chocolat connaît deux grosses périodes de vente : Pâques et Noël, le reste de l’année, c’est plutôt calme, alors que pour les produits diététiques, nous avions des clients fidèles tout au long de l’année.

Vous voilà donc parti à fabriquer des chocolats ?

Voilà, à partir de 1958 et jusqu’en 1990, nous avons fabriqué nos chocolats dans la cuisine de notre appartement, au début environ trois cent cinquante pièces au moment de Pâques pour arriver vers la fin à mille deux cents voire mille cinq cents pour la même période, nous réalisions surtout des petits moulages. C’est très consommateur de temps car il faut procéder pièce par pièce, préparer le chocolat, noir, blanc ou lait, nettoyer le moule, le décorer… pour tout cela il faut de la patience. Pour Noël par exemple, nous devions préparer le travail à partir de septembre et pour les chocolats de Pâques, c’est tout de suite après Noël que nous attaquions.

Et vous achetiez votre chocolat où ?

Nous nous approvisionnions exclusivement chez Cacao Barry, mais ce n’était pas facile car il ne vendait que des grosses quantités et nous étions une petite entreprise, nous n’avons toujours travaillé qu’à deux, mon épouse et moi !

Alors, expliquez-nous un peu, comment fabrique-t-on des bonbons de chocolat ?

C’est long mais assez simple, le matériel n’est pas très compliqué non plus : il suffit d’une fourchette et de ce que l’on appelle une trempeuse. C’est une sorte de bain-marie dans lequel trempent deux bacs en aluminium. C’est dans ces récipients que l’on met le chocolat à fondre, mais attention pas n’importe comment, il faut effectuer ce que l’on appelle une courbe de température. On monte d’abord à 40°C puis on redescend lentement à 32°C pour le chocolat noir et 28°C pour celui au lait. Pour mes besoins, avec l’aide d’un ami, j’ai fabriqué un appareil de ce type, le système de chauffage fonctionne avec quatre lampes de 40 W, il m’a servi pendant mes trente-deux années à Meulan et je le garde en souvenir (voir la photo). Le fait de pouvoir travailler sur un haut tabouret est un gros avantage, le dos trinque quand même mais ce sont surtout le bras et l’épaule qui travaillent car il faut sans cesse remuer le chocolat, il ne faut aucun grumeau !

Ensuite lorsque le chocolat est à température et que l’on a préparé ce que l’on appelle « les intérieurs », ce sont des morceaux de chocolat de variétés différentes (orange, praliné, gjanduja…), il suffira de prendre ces intérieurs à l’aide d’une fourchette, de les faire tremper dans le chocolat chaud et de les laisser refroidir sur une plaque de l’autre côté de la trempeuse, voilà le tour est joué, attention il faut tout de même un bon coup de main et une certaine expérience pour arriver à un bon résultat…

Et pour les moulages ?

C’est un peu le même principe mais il faut en plus apporter beaucoup de soin à la préparation du moule que l’on nettoiera à l’aide d’un coton ; au pinceau on passe ensuite à l’intérieur du moule en métal une couche très fine de chocolat, puis on le coule, on attend que le chocolat refroidisse et enfin on démoule. Il est très difficile de produire de tels objets en été, car il est indispensable d’avoir une température pas trop haute dans la pièce et surtout pas de buée…

Vous vendiez aussi des dragées, vous deviez avoir beaucoup de clients au moment des communions solennelles, des baptêmes et des mariages ?

Effectivement, nous vendions aussi ce genre de produits, mais nous ne les fabriquions pas, nous étions seulement revendeurs. Par contre, nous confectionnions des corbeilles ornées de fleurs en dragées enveloppées dans du tulle blanc, elles avaient beaucoup de succès mais nous demandaient aussi beaucoup de travail, les fleurs étaient préparées une par une et il y en avait parfois plus de cinquante dans une corbeille, une pour chaque convive, c’est vous dire !

Madame Picault, même si nous n’avons pas beaucoup parlé de vous je pense que vous étiez une pièce importante dans ce commerce, d’ailleurs vous étiez Meulanaise je crois?

Madame Picault : Oui, mes parents tenaient un commerce de vente de vin en gros, la maison Décibieux, nous étions installés rue de Beauvais ; il y avait là de vastes caves creusées dans la colline qui ont servi d’abri pendant la dernière guerre, il y avait quatre cents places, c’était le plus grand abri à Meulan.

Pour revenir à « la Petite Marraine », vous avez raison on peut dire que j’avais aussi ma place car nous n’avons toujours travaillé que tous les deux ; il fallait s’occuper des enfants, donner un coup de main à la fabrication et à la vente, nous n’avions guère de temps libre, mais surtout il fallait laisser de la place dans la cuisine qui n’était pas bien grande.

Monsieur et Madame Picault : c’était tout de même une très belle époque et ces trente-deux années passées dans notre magasin du centre ville ont vraiment marqué notre vie. Lorsque nous avons arrêté en 1990, c’est un chocolatier meilleur ouvrier de France, M. Derrien qui a repris la boutique, il est resté dix ans. C’est maintenant une compagnie d’assurance qui occupe les locaux, tout évolue…

Un grand merci monsieur et Madame Picault d’avoir partagé avec nos lecteurs tous ces souvenirs, nous avons aussi beaucoup appris sur la confection des chocolats, nul doute que dorénavant nous les dégusterons d’une façon différente.

(Propos recueillis par Jannick Denouël)