La peite sirène de Copenhage

Même si vous n’êtes jamais venu dans la capitale du Danemark, vous me connaissez sûrement tant ma renommée dépasse les frontières de cette ville. A l’occasion de mes cent ans, fêtés dans la joie le 23 août, je ne résiste pas au plaisir de vous conter mon étonnante histoire. Si par nature je vis dans l’eau, c’est curieusement un maître brasseur qui est mon géniteur : Carl Carlsberg, le fils du fondateur de la fameuse brasserie danoise, établie près de Copenhague en 1847. Un jour où Carl assistait au ballet narrant mon histoire tirée du célèbre conte de Hans Christian Andersen ; il fut si ému qu’il décida de m’immortaliser ! C’est donc grâce à lui que je vis le jour en1913 et que, fichée sur mon rocher sur le Sund (1), curieusement je devins la mascotte de Copenhague et même des Danois en général.

Peut-être, certains d’entre vous ne connaissent pas mon histoire qui commence si bien et finit si tristement : je vivais avec mes sœurs au fond de la mer et n’apercevais que fugitivement des humains, jusqu’au jour où j’ai sauvé du naufrage un jeune prince dont je suis tombée éperdument amoureuse. Mais comment l’atteindre ? Certes, je suis très belle mais mon corps se termine en queue de poisson ; c’est très utile sous l’eau mais sur terre, les jambes sont indispensables. Alors je suis allée trouver la vieille sorcière qui voulut bien me donner les jambes que je souhaitais…mais à quel prix ? Je dus abandonner ma jolie voix ! Eperdument amoureuse, j’acceptais, pour rejoindre mon prince, qu’elle me coupe la langue. Je ne devais la retrouver que s’il m’épousait. Mais, sans voix, sans chant, comment lui faire comprendre que j’étais celle qui l’avait sauvé et qu’il recherchait partout ? Finalement il épousa une fort belle princesse…et c’est le cœur brisé que je redevins « sirène » à part entière, rejoignant mes sœurs au fond des eaux.

Ce qui me console, c’est que depuis cent ans, même si j’ai une queue de poisson, je trône sur mon rocher au milieu des passants et des touristes qui viennent m’admirer. Sans modestie je les comprends car, si je suis petite (un mètre vingt cinq), je suis très séduisante. Edward Eriksen qui m’a modelée avant de me couler dans le bronze, a pris comme modèle Ellen Price qui avait interprété mon rôle dans le fameux ballet. Ne pouvant sans doute pas lui demander de poser nue, c’est de sa femme qu’il s’inspira pour le corps de la petite sirène. Le résultat est fort gracieux et il ne faut surtout pas s’apesantir sur mon poids : cent soixante quinze kilo, bronze oblige !

Vous pourriez croire qu’après m’avoir fixée sur mon rocher, j’ai vécu des jours paisibles. Et bien, détrompez-vous. Ma jolie tête en a fait tourner bien d’autres : en 1964 elle fut volée et remplacée par une nouvelle, volée à son tour mais restituée anonymement. En 1984, on me coupa le bras droit qui lui aussi me fut restitué. Je connus le barbouillage de peinture et fus même jetée à la mer ! En 2004, on me coiffa d’une burka pour protester conte l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne ! La politique aurait-elle le droit de me bafouer ?

Rassurez-vous, j’ai aussi connu maintes et maintes fois les honneurs. L’un des plus fameux m’a été rendu au pavillon danois de l’Exposition universelle de Shanghai en 2010. Afin de ne pas y être trop dépaysée, des tonnes d’eaux provenant de mon environnement habituel m’ont accompagnée. Imaginez mon succès là-bas mais aussi ma joie de retrouver mon Copenhague et ses habitants, frustrés et souvent furieux de mon involontaire désertion.

Je vous le promets, je ne bouge plus et serai toujours heureuse de vous voir venir dans ma belle ville dont je ne suis pas l’unique chef d’œuvre !

(1) le Sund est le nom du détroit qui sépare l’Ile de Jaelland, celle de Copenhague de la Côte suédoise.

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