L’écologie aux Semaines sociales

Les semaines sociales de France sont un lieu de formation et de débat qui permet le dialogue entre les chrétiens et la société. « ECOLOGIE, préparons-nous à un changement radical », c’était le thème de ces 97èmes rencontres qui avaient lieu à Lyon du 24 au 26 novembre.

Elles ont d’abord commencé par le constat de l’urgence écologique avec une présentation très rapide du rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, (voir : « Résumé pour tous GIEC-IPCC ») par Gerhard Kninner, Directeur de recherche CNRS – IPCC. Il établit que :

  • Il est certain que ce sont les activités humaines qui réchauffent le climat et les populations les moins responsables sont les plus vulnérables ;
  • Le réchauffement de la planète a déjà provoqué des changements généralisés, rapides et qui s’intensifient dans les domaines de la biodiversité, la santé, l’eau… ; ils rendent les événements extrêmes plus fréquents et plus sévères : canicules, sécheresses, fortes pluies… Certains sont sans précédent depuis des milliers voire des millions d’années ;
  • Les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter ; elles ne sont pas réparties de manière égale et le climat continue à changer en raison de l’activité humaine ; la température globale ne se stabilisera que lorsque nous cesserons d’ajouter des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Pour limiter le réchauffement à moins de 2°C ou à près de 1,5 °C, il faut réduire immédiatement, fortement et durablement leurs émissions.

 

Gerhard Krinner a conclu en indiquant qu’il existe de nombreuses actions à toutes les échelles (individuel, ville, état…) dans tous les domaines (énergie, terre, infrastructure, style de vie…) pour intensifier rapidement les actions en faveur du climat : par exemple dans le domaine de l’énergie, le déploiement du photovoltaïque ou de l’éolien ou encore dans le domaine de l’agriculture l’agro forestation, la régénération des forêts…

Pour ne pas céder au sentiment d’impuissance face à la complexité de la mise en œuvre des actions par les individus, les entreprises et les pouvoirs publics, Sophie Dubuisson-Quellier, sociologue, directrice de recherche au CNRS, membre du Haut-Conseil pour le climat a apporté son regard de sociologue. Elle a montré que pour changer les comportements, il est important d’identifier le rôle et la place sociale de chacun afin de situer les engagements individuels à leur juste place ; il ne faut pas opposer les modes de vie qui conduisent à des inégalités d’émission de gaz à effet de serre et d’efforts de réduction, les plus riches étant ceux qui émettent le plus et les plus éloignés des centres-villes ceux qui émettent le plus ; et il faut regarder les imaginaires que nous avons construits : la Société d’abondance qui a placé en son sein la culture consumériste dont elle a besoin et qui ne prend pas compte ce qu’elle ne peut pas quantifier (par exemple : l’environnement ne compte pas dans les structures de l’entreprise). Pour écraser les coûts, la surproduction a des impacts massifs sur l’environnement mais on a besoin de la dynamique de la surconsommation pour faire fonctionner nos modèles économiques…

En conclusion, elle propose trois pistes :

  • Comprendre les verrouillages (exemples : Comment ne pas prendre sa voiture quand l’aménagement du territoire n’a pas prévu de transports publics ? Qu’est-ce qui fait que la viande a pris autant de place dans l’alimentation dans nos sociétés ?) ; voir où sont les décisions, les règles, les instruments économiques par exemple fiscaux, les structures d’intérêt ? Analyser comment les défaire – ce qui est plus compliqué qu’innover…
  • Expérimenter de nouvelles façons de faire : des solutions sont disponibles mais elles nécessitent de la mise en œuvre de configurations sociales, politiques, économiques un peu nouvelles.
  • Inscrire les nouvelles façons de faire dans des règles, des outils, des infrastructures.

Les solutions imposent des changements collectifs complexes mais les sciences sociales peuvent nous aider à les mettre en œuvre.

En écho à cette intervention , François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France et fidèle des Semaines sociales et Lucile Schmid, vice-présidente du think tank « La fabrique écologique » intervenaient pour évoquer les solutions dans les institutions financières et plus largement politiques.

Pour François Villeroy de Galhau, le rôle des institutions est de permettre les changements de comportement, les favoriser, voire les obliger.

Du côté des finances, la Banque de France a créé un réseau international pour obliger les banques et assurances à considérer que le risque climatique est partie prenante du risque financier. De plus, tous les investissements de la Banque de France sont alignés sur un objectif d’augmentation de température d’1,5°. François Villeroy de Galhau ne croit pas en la décroissance qui serait quelque chose d’extrêmement douloureux et aiguiserait les conflits de répartition en particulier face aux pays du Sud. Il faut convertir la croissance telle qu’elle est : pour changer les comportements économiques, il faut un juste prix pour les nuisances associées au carbone c’est-à-dire un prix du carbone mondial qui permettrait une redistribution plus forte vers les pays les plus pauvres ; il faudrait aussi des indicateurs complémentaires au PIB. Enfin, il y a 3 besoins fondamentaux : les besoins matériels, le développement relationnel et le développement spirituel. La question du combien doit être mise en perspective avec la question de la finalité pour tendre vers une société de sobriété heureuse (cf. Laudato Si) ou d’abondance frugale (cf. Jean-Baptiste de Foucault).

Lucile Schmid a évoqué l’augmentation des procès climatiques qui demandent que les institutions changent et que les états tiennent leurs promesses face aux engagements climatiques. Au sein des institutions françaises, il y a des discussions permanentes sur le niveau d’ambition et les outils, mais il est important de définir à quelle promesse par rapport aux accords de Paris, les outils doivent être mis en place, des outils qui doivent pouvoir évoluer rapidement face aux changements climatiques qui s’accélèrent. Pour cela, il faut une circulation entre les différentes échelles : le mondial, l’européen, le national et le local et un dialogue entre ceux qui pensent appartenir à des camps adverses.

François Villeroy de Galhau et Lucile Schmid ont aussi plaidé pour la redémocratisation de la vie politique, à travers un appel au vote citoyen à l’engagement dans des responsabilités politiques en acceptant de se laisser dépasser par la cause qu’on porte voire de tracer des compromis.

 

Lors de ces 3 jours, des initiatives innovantes ont été présentées par des personnalité inspirantes pour inciter d’autres à s’engager concrètement dans une conversion écologique intégrale :

  • Etienne Villemain, fondateur du Village de François et de Lazare, lieu de vie partagés et innovants rassemblent des personnes fragiles et leurs accompagnateurs, autour de 3 axes : le vivre-ensemble, l’activité économique et l’écologie intégrale.
  • Maxime Pawlak, président de la Commission « Conversion écologique » des Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens, cofondateur d’ELOI, une société à mission qui souhaite « Contribuer à donner aux agriculteurs de moyens pour soigner la terre et les Hommes » en proposant des solutions nouvelles pour la transmission des fermes et l’installation pérenne de porteurs de projet en agro-écologie.

Des rencontres étaient également organisées en petit groupes autour de problématiques comme l’organisation de parcours de prise de conscience et de transformation pour décideurs économiques avec la convention des Entreprises pour le Climat ou le réseau de cantines de quartier « Les Petites Cantines » dont la vocation est de développer les liens de proximité et promouvoir l’alimentation durable.

La question des plus pauvres quant aux changements nécessaires, a été abordée : quelles sont leurs craintes, leurs espoirs, leurs expertises en matière de changement climatique et de sobriété ? Comment éviter que les plus précaires soient les plus touchés par la crise écologique ? Quelles politiques mettre en place pour accompagner une transition écologique juste ?

Des acteurs financiers, économiques, politiques ont aussi témoigné que des changements sont possible dans leur secteur, leur entreprise, leur territoire et l’Europe…

Les organisateurs invitaient également les participants à se mettre en mouvement avec des actions concrètes proposées dans un livret d’accompagnement,  tout en (re)découvrant l’encyclique du pape François « Laudate Si », véritable source d’inspiration en matière d’écologie : comment la Bible, la pensée sociale chrétienne, nous aident-elles à penser la radicalité du changement en vue de la préservation de notre maison commune ?

« Dans ma vie, il n’y a pas beaucoup de lieux où j’ai autant appris et autant reçu qu’aux Semaines sociales de France », c’est ainsi que François Villeroy de Galhau, avait commencé son propos et il est vrai que ces journées faisaient réfléchir, donnaient des pistes pour agir à tous les niveaux.

A l’heure où cet article est écrit, les dirigeants du monde entier sont réunis pour la COP28. Espérons que les espoirs formulés lors de ces Semaine sociales trouvent un écho dans leurs décisions.

Véronique Schweblin

 

Ci-dessous les livres cités par François Villeroy de Galhau dans son intervention :

  • « Prospérité sans croissance » de Tim Jackson
  • « L’abondance frugale » de Jean-Baptiste de Foucault
  • « Changer l’état de François Villeroy de Galhau et Lucile Schmid

Et un film « Bigger than Us » de Flore Vasseur

 

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