Du gaulois au patois, du françoys au français

Hier, monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir ; aujourd’hui, monsieur Jourdain parle gaulois sans le savoir.

Qui utilise encore aujourd’hui le mot « braca ou braie » pour désigner son froc(1) ou plutôt son pantalon ? Personne ! Mais après l’avoir mal ajusté, on constate qu’on est débraillé. Qui utilise le mot « frogna » pour désigner son nez ? Personne ! Mais, se renfrogner est utilisé pour désigner quelqu’un qui remonte son nez, plisse son visage. Pour les adeptes du beau langage, les linguistes gréco- latin, c’est difficile à « gober », ça leur en « bouche un coin » justement le substantif gaulois gobbo donne bouche en français, en vieux français gobel, gobet en français gober, gobelet. Voici le substrat gaulois qui ressort partout au quotidien dans la langue de Molière.

Dans le nord de la Gaule, on parle le gaulois jusqu’au VIe siècle, puis le gallo latin jusqu’au IXe siècle et puis progressivement les habitants du bassin parisien vont adopter le françois (c’était le patois de la région de l’Île-de-France). On peut noter que les Helvètes(2) parleront encore gaulois des années après nous et que sur la monnaie, ils sont toujours fidèles au francs alors que nous l’avons abandonné.

Partout ailleurs, ce sont d’autres patois qui sont utilisés : le picard, l’artois, le wallon, le normand ou l’anglo-normand, l’orléanais, le champenois, le breton dans le nord-ouest… Les rois de Francie pour leur part parlaient le francique (une langue germanique). Il nous en reste un certain nombre de ces mots franciques que nous utilisons toujours comme cresson, frais, dard, falaise, fanon, fange… Tout en utilisant le latin pour écrire. A cette époque, les gens du peuple étaient tous unilingue, un peu comme nous aujourd’hui…

Dans le sud, la situation est différente car ce sont des régions profondément latinisées, soumises à la domination wisigothe plutôt qu’aux Francs, les langues d’oc étaient florissantes (provençal, languedocien, gascon, limousin).

Typographie étrusque

Revenons à la langue gauloise qui se révèle peu a peu, oubliée depuis mille cinq cents ans. Elle est connue par des inscriptions rédigées en alphabet étrusque, grec ou latin. Les linguistes commencent à bien décrypter cette langue celtique que parlaient les habitants de la Gaule bien avant Jésus. Le plus facile, c’est l’onomastique (noms propres) puis des noms de personne (anthroponymie) et des lieux (toponymie). Le gaulois est une langue dont il ne subsiste que des débris, ses locuteurs n’ont pas écrit. Leur littérature est vouée à une transmission purement orale. C’est une langue fragmentaire connue par quelques inscriptions, quelques gloses(3). Toutefois, l’hydronymie qui appartient à la couche lexicale la plus ancienne d’un pays est toujours très présente : Axona =l’Aisne, Varus =Var, Isara = l’Oise, l’Isère veut dire l’impétueuse.

Deux exemples de toponymie :

  • Alisia en gaulois veut dire rocher ; c’est le nom du lieu célèbre Alésia où Vercingétorix dut capituler. Aujourd’hui, cet endroit s’appelle Alise-Sainte-Reine (Côte d’Or) ; les gens qui connaissent le plateau d’Alise reconnaîtront que cette appellation convient parfaitement au lieu. De plus, le mot roche se retrouve dans l’onomastique de la région dans Hauteroche, la Roche-Vanneau, …
  • Paris 3ème siècle – Lutèce gallo-romain

    Luto en gaulois veut dire marais. Lutetia = marécageux, boueux et Lutetia donne Lutèce qui initialement désignait à Paris seulement l’île de la cité. On peut penser que l’endroit était marécageux. Comme partout ailleurs, Lutèce fut remplacé par le nom de la tribu les Parisii pour donner Paris. Paris viens de Parios en gaulois le chaudron.

Autre exemple : Andogna donnera indigena en latin puis indigène en français…

Nous pouvons pour l’instant retracer neuf cent cinquante mots différents qui sont expliqués dans le dictionnaire de la langue gauloise de Xavier Delamarre.

On peut donc penser que l’abondance des inscriptions écrites en alphabet latin après la conquête romaine a conduit les historiens à interpréter les noms propres de la Gaule par le latin. En effet, le latin et le gaulois n’avaient pas de phonétique foncièrement différente. Toutefois, les terroirs portent encore aujourd’hui le nom des tribus gauloises : les Lingons à Langres, les Lexoviens à Lisieux, les Carnutes à Chartres, les Bellovaques à Beauvais, … toute notre géographie parle gaulois et repassera du latin au gaulois : Caesarodunum redeviendra Tours à cause des Turones, Agendicum redeviendra Sens à cause des Senones, …

Autant dire que la tentative de civilisation à la romaine par les centres urbains a échoué ; tous nos noms de fleuves, montagnes, vocabulaire agricole sont celtiques mais c’est le triomphe de l’Eglise qui a assuré le succès définitif du latin car les mots d’origine chrétienne sont beaucoup plus nombreux dans notre langue que les termes païens ou profanes.

Daniel Weugue

 

(1) Froc : de l’ancien vieux –francique HROKK (habit) à l’ancien français froche, à l’argot froc (pantalon). C’est aussi le nom d’une partie de l’habit monacal qui couvre la tête et tombe sur la poitrine et les épaules.

(2) Glose : note en marge au bas d’un texte pour expliquer un mot difficile, éclaircir un passage obscur.

(3) Helvètes=Suisses.

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