Thomas KOWALSKI

Nos jeunes étudiants sont appelés, nous le savons, à faire des stages en entreprises soit en France, soit à l’étranger pour parfaire leur formation. Ce que nous savons moins, c’est qu’un certain nombre d’entre eux choisit l’humanitaire et pour ce faire s’expatrie pour quelques mois dans le tiers monde, dans des conditions de vie bien différentes du cocon familial et estudiantin. Nous avons demandé à Thomas de nous parler de son expérience en Inde.

 Thomas, pouvez-vous évoquer votre parcours jusqu’à votre départ en Inde ?

J’ai 22 ans et vis depuis 1997 à Juziers où mes parents étaient instituteurs à l’école de la Sergenterie. Mon cursus scolaire est normal : j’ai passé un Bac ES puis un BTS, option commerce international en alternance.

Londres fut ma première expérience à l’étranger en 2009, dans une filiale de Bouygues. J’étais assistant du manager de vente. Ce fut très intéressant.

Après mon BTS, j’ai intégré sur concours l’école supérieure de commerce de La Rochelle, pour préparer mon Master. Mes études me plaisent beaucoup car l’école me propose des programmes différents. J’ai opté pour une filière internationale qui m’amène à faire des séjours à l’étranger et c’est ainsi que je suis parti en Inde. Actuellement, je consacre mon temps à deux stages de six mois, je travaille chez Colgate Palmolive au service marketing.

 

Pouvez-vous nous parler de cette expérience en Inde ?

L’école nous suggère de faire un stage humanitaire ou social de trois mois dans un pays anglophone. J’ai choisi l’Inde et trouvé l’association « Taabar » qui a différents pôles d’activités dont une école. Elle accueille des orphelins de 3 à 14 ans, mais aussi des enfants arrachés à leurs familles pour maltraitance ou vivant dans la rue. C’était en 2011 et j’y ai séjourné de mai à septembre.

Mais pour réaliser ce projet, il y avait un premier obstacle à franchir : le financement. Il me fallait apporter à l’ONG pour laquelle j’allais travailler 800 €, tant pour ma nourriture que pour le matériel indispensable au chantier de construction auquel j’allais participer (ciment, pelles, sable, etc. …) en plus des frais de mon voyage et de mon séjour ! J’ai demandé une bourse à la région Poitou-Charentes qui me l’a accordée, elle est assez généreuse avec les étudiants de classe moyenne. Par ailleurs, j’ai monté un dossier et pris de nombreux contacts pour réunir la somme. Ma famille, la municipalité de Juziers, la Maison pour tous, des commerçants et des Juziérois ont répondu à mon appel et ont généreusement contribué à la réalisation de mon projet.

 

Parlez-nous tout d’abord de votre arrivée en Inde.

 Nous sommes partis à quatre camarades, qui ne se connaissaient pas beaucoup, mais c’était tout de même plus sécurisant et rassurant pour nous et nos parents ! Après un long vol pendant lequel, nous essayions d’imaginer notre aventure, nous étions envahis de sentiments mêlés de fierté et d’appréhension. Arrivés à New Dehli le lendemain, il nous a fallu gagner Jaipur dans le Rajasthan à quelque deux cent cinquante kilomètres. Il faut préciser qu’en Inde, en voiture, en huit heures, on fait à peine deux cents kilomètres, et dans quelles conditions ! Nous nous sommes faits arnaquer par le taxi, c’est douloureux pour le porte-monnaie et l’amour propre, mais c’est monnaie courante ! Nous avions une adresse d’hôtel et le seul objectif était d’y arriver coûte que coûte. Il était plus que rudimentaire : chambre de huit m2 pour quatre, matelas de feuilles sur une planche, douche au seau, tout à l’avenant. Nous y avons logé trois semaines, puis on l’a quitté pour nous implanter davantage dans la culture locale. Nous avons rencontré deux étudiants indiens sympathiques. Grâce à eux, nous avons pu louer un appartement avec une pièce commune, petit espace cuisine, sanitaires et matelas posés sur des planches pour dormir : une autre idée du luxe … Avec eux, nous avons voyagé autour de Jaipur et visité de très beaux lieux touristiques pendant nos temps libres. La colocation avec nos deux amis du pays nous a permis de vivre des échanges intéressants, d’être au cœur de la communauté indienne dans son quotidien et de l’apprécier à sa juste valeur.

 

Quelles ont été vos premières impressions ?

 Mes premiers mots en posant le pied sur ce continent ont été : « c’est un autre monde ! »

 Débarquer en Inde, c’est le dépaysement total, un vrai choc, à tous les niveaux, dans tous les domaines ! Rien n’est comme chez nous ! Il y a le climat … en sortant de l’aéroport, il faisait 45°, il fallait boire sans arrêt car l’atmosphère était sèche. Heureusement, il y a eu la mousson, c’était plus supportable, presque agréable. Mais les infrastructures ne sont pas adaptées, et l’eau monte et envahit rapidement les rues de trente centimètres. Pourtant les Indiens reçoivent cette eau comme une douche bienfaisante. J’ai un très bon souvenir de la mousson.

La notion de temps est différente pour eux ; l’important est que la tâche soit faite et le temps utilisé n’est pas une unité de mesure essentielle. L’organisation ne semble pas faire partie de leur univers. Mais au premier coup d’œil, on est surpris par le désordre. On a l’impression que rien n’est assemblé, que rien ne va pouvoir aboutir. La foule est grande, colorée, animée et bruyante. Rien n’est « clean ». Les odeurs sont prenantes. Les vaches sacrées se baladent….

 Les réglementations sont de vraies lourdeurs administratives qui ont posé de réels soucis à nous, jeunes européens.

Les paysages peuvent être grandioses, l’architecture magnifique, les arts et les manifestations culturelles extraordinaires. La foi religieuse est omniprésente et reste diverse et variée. Les traditions sont à mille lieues des nôtres.

La pauvreté, voire la misère, sont parfois insoutenables et on se sent à la fois égoïstement chanceux, mais impuissants. Les rencontres humaines, bonnes ou moins bonnes, restent gravées pour longtemps. L’Inde est trop différente de notre culture et ne peut pas laisser indifférent ! J’ai été bouleversé, mais j’ai aimé.

 

A Jaipur, quelles étaient vos occupations principales ?

J’ai pris un double engagement auprès de l’ONG « Taabar » : sur deux périodes, deux missions. Le premier mois, nous avons tous participé à la construction d’une école pour les filles dans un village à la sortie de la ville. C’est un projet que l’école Groupe Sup de Co de La Rochelle suit depuis deux ans maintenant. Ce fut une excellente expérience ! Nous avons retroussé nos manches et terminé le deuxième étage de l’école. C’est ainsi que nous avons marqué notre passage, du concret dans la participation de notre projet. D’autres étudiants prendront la relève pour finir le chantier.

Nous étions fiers d’avoir posé « notre pierre à l’édifice », en restant au contact avec les villageois. Au fur et à mesure que les jours passaient sur le chantier, notre relation avec les habitants du village et leurs enfants s’amélioraient et s’approfondissaient. Les petits étaient très curieux. Ils aimaient nous singer. Manifestement, ils cherchaient le contact, dans la bonne humeur, nous avons toujours répondu à leurs attentes.

A la suite de ce premier mois de travail bien physique, avec un de mes camarades, j’ai donné le matin des cours de mathématiques et d’anglais à un groupe d’enfants orphelins de 6 à 12 ans. Nous avons évoqué pour répondre à leurs questions l’histoire européenne et la géographie française. L’après-midi, nous consacrions notre temps à des activités plus ludiques : dessin, jeux sportifs. Cela a duré trois mois. C’est la mission que j’ai préférée.

Ces enfants étaient brillants, d’une vivacité intellectuelle remarquable et d’une gentillesse incommensurable. Nous avons très vite créé un lien sincère, tout en gardant à l’esprit le moment du départ, ce qui ne fut pas chose aisée …

 

Pouvez-vous nous parler de la population?

La société indienne fonctionne sur un système de castes, c’est très visible. En restant très simple, on peut dire que 10% de la population est riche et peut tout faire, niveau de vie équivalent au nôtre, tandis que les 90% restants, la caste inférieure survit. Il y a beaucoup de mendiants et la violence est grande. Il y a des réseaux, les grands surveillent les petits.  On a vite compris le système mis en place dans les rues, lorsque nous achetions nos fruits aux petits, l’argent n’était pas pour leur poche.

Ce qui m’a frappé, c’est qu’ils ont si peu et qu’ils restent toujours joyeux.

 Les enfants venaient sur le chantier et jouaient près de nous ou avec nous. Ils adoraient le cricket peu importe la balle et le bâton à leur disposition. Au sein de la cellule familiale, nous avons cru percevoir que la relation au père est plus distante, les enfants sont plus proches et décontractés avec leur mère. Ils sont chaleureux et généreux. Ainsi, j’ai été invité par un père de famille voulant partager son repas. Sa maison était en briques avec un toit de tôle, il n’y avait qu’une pièce, dans un coin le matelas des parents, dans l’autre celui des enfants et au centre un feu … j’oublie la chèvre ! Il n’avait presque rien et il a tenu à donner.

Le lendemain, j’ai apporté et partagé en retour. Un lien simple se tissait sans monnaie d’échange, seulement par la rencontre, ce fut un des moments forts de mon séjour.

 

Quel message aimeriez-vous transmettre aux lecteurs ?

Pour parvenir à ce projet, rien n’a été simple, car la bureaucratie est d’un abord complexe, il faut contacter de nombreuses personnes, passer par des intermédiaires et le système là-bas est corrompu : il faut une bonne dose de persévérance !

 Ces quatre mois en Inde m’ont beaucoup appris. Ce fut une formidable expérience désirée. Cela a été au-delà de mes attentes. Je savais que j’allais recevoir un choc car je m’étais documenté un peu, mais pas trop pour ne pas gâcher les impressions personnelles. Ce choc des cultures a été vraiment très fort, mais je ne regrette rien de ce choix.

Il y a eu un choc au retour, après quatre mois d’une autre vie, dans un contexte tellement différent. Il a fallu se réadapter au mode de vie français avec en permanence à l’esprit d’énormes souvenirs. A l’école de La Rochelle, nous avons pu partager notre mission. Je l’ai présentée aux élèves de première année en leur donnant des informations pratiques pour essayer de leur simplifier la tâche.

Le message est donc simple : je crois que l’on peut monter de tels projets, malgré les difficultés de tout ordre, si on est quelque peu déterminé. La rencontre avec autrui vaut toujours d’être vécue, près de chez soi ou au bout du monde.

 

Et maintenant ?

 Mon choix est fait. Je vais continuer à bouger pendant quelques années. J’aime les voyages, découvrir, m’adapter, créer des liens puis rester en contact. Après ma dernière année d’école, je devrais entrer dans la vie professionnelle dans le domaine commerce international. Je dois avant tout, rembourser le gros prêt bancaire souscrit pour financer mes études.

 Tout est apprentissage, à chaque expérience, il y a une nouvelle part de nous qui naît, le caractère se forge peu à peu. J’ai également la chance d’être très entouré par mes proches ; même si je suis loin, je les sens près de moi. Ainsi, mon frère aîné Guillaume, « qui n’est pas comme tout le monde de par son handicap » m’a appris quotidiennement à surmonter les difficultés, car il est force et courage. Ma mère, souvent inquiète de me voir partir si loin, maintient un lien indispensable (vive les nouvelles technologies qui facilitent grandement les contacts). Je remercie mes parents qui, non seulement gèrent mes affaires quand je ne suis pas là, m’assistent matériellement, mais surtout me recadrent si besoin et me soutiennent moralement. Je sais que je ne suis pas seul malgré la distance.

Un très grand merci Thomas pour ce témoignage qui sera certainement apprécié de nos lecteurs, tant pour la découverte de votre mission humanitaire en Inde, que pour tout ce qui se dégage de force morale, d’intelligence et de sens des autres.

 

(Propos recueillis par Ghislaine Denisot).

 

 

 

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